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Terminus Andromède
1. Départ
Disclaimers : les voyageurs à destination d'Andromède appartiennent à M. Matsumoto, de même que le train.
Note de l'auteur : L’hypothèse
de départ est que Maetel est une voyageuse de
l’éternité, comme elle le dit
elle-même,
qu’elle n’est pas humaine (elle est de
Râmétal), qu’elle a un cycle de vie
différent
(plus lent, quoi) et donc qu’elle est beaucoup plus vieille
qu’elle n’en a l’air. Disserter sur la
date exacte du
début de son voyage en train n’est pas
à
l’ordre du jour. Notons seulement que d’autres sont
humains, eux, et même allemands, et par conséquent
qu’ils vieillissent comme des humains (même si le
système de datation, lui, est plutôt anarchique).
Et, oui, je sais
que c’est contradictoire avec d’autres
hypothèses.
Mais est-ce
vraiment important ?
o-o-o-o-o-o
Il pleuvait.
Les belligérants, trempés,
s’étaient
retranchés dans leurs abris en attendant
l’accalmie. Les
ruines étaient désertes.
Enfin presque.
Une silhouette s’efforçait de contourner un champ
de blocs
de béton, restes d’un immeuble effondré
depuis les
premiers bombardements.
La pluie ruisselait sur son visage et imbibait ses vêtements.
Mais lui, il s’en fichait. C’était un
adolescent
maigre avec une expression trop adulte pour son âge, un de
ces
nombreux gosses qui hantaient les rues.
Dans l’ombre d’une poutrelle métallique,
de gros
rats se disputaient leur repas. Il ne s’arrêta pas.
À quoi bon. Il ne savait que trop bien ce qu’il
trouverait
une fois qu’il aurait chassé les rongeurs.
Les cadavres étaient trop nombreux, et les survivants trop
peu pour les enterrer tous.
Les survivants…
Ne te retourne
pas. Jamais. Continue d’avancer. Quoiqu’il arrive.
La gare était proche. Il s’autorisa une pause,
avant
d’entamer la partie la plus difficile. Le quartier
était
quadrillé par des patrouilles. Et quel que soit leur camp,
aucune ne ferait preuve d’indulgence s’il se
faisait
prendre.
Il soupira. D’un geste, il balança son bagage sur
l’épaule – un simple sac de toile, qui
visiblement
n’était pas très lourd. La pluie et les
rafales de
vent redoublèrent, réduisant parfois la
visibilité
à quelques mètres, mais il pouvait deviner entre
les
rideaux d’eau l’ombre noire des bâtiments
de la gare.
Il ne croisa aucune patrouille.
Une fois au pied du bâtiment, il en fit prudemment le tour.
Il
savait que la gare spatiale avait été
l’un des
endroits les plus sécurisés de la ville. Un
concentré des meilleurs systèmes technologiques
de
surveillance et de protection. Une structure construite avec des
alliages inédits, conçue pour résister
aux ravages
du temps. Un monument à la gloire de la
prospérité
économique terrienne, une vitrine pour les yeux de la
galaxie.
Mais ça, c’était avant.
Quand il pouvait entrer par la grande porte. Quand il
possédait
son propre billet, sa place réservée dans
l’un des
multiples vols qui partaient pour l’une ou l’autre
planète touristique.
Maintenant, le trafic s’était réduit,
les convois
qui atterrissaient et décollaient étaient
essentiellement
militaires, et lui, il ne se souciait pas mal de sa destination, pourvu
qu’il puisse se glisser dans un wagon qui lui ferait quitter
sa
planète.
Il repéra une brèche dans un mur, par laquelle il
parvint
à se faufiler. Il se retrouva à
l’intérieur
de la gare, tout au bout des quais.
L’endroit était désert.
La dernière fois qu’il était venu
– seulement
l’année précédente, mais
cela lui sembla une
éternité – les voies étaient
toutes
occupées par des trains, et les quais bondés.
Aujourd’hui, une poignée de voyageurs
pressés se
hâtaient dans le hall trop grand, vers l’unique
train en
gare.
Il le reconnut au premier coup d’œil.
— Regarde fiston,
tu vois ce train, en face de nous ?
— Celui qui a la
locomotive à vapeur, comme autrefois ?
— Oui. Eh bien,
c’est ce
train qui traverse toute la galaxie et qui va
jusqu’à Andromède. Le Galaxy Express.
— On va le
prendre, nous aussi ?
— Non, pas cette
fois-ci…
Il secoua la tête, pour en chasser les souvenirs.
C’était trop tard pour revenir en
arrière, de toute
façon.
Le train était équipé de
barrières de
sécurité qui empêchaient
d’éventuels
passagers clandestins d’approcher.
L’accès aux
wagons était strictement contrôlé par
des
androïdes. Mais le dispositif de surveillance avait connu des
jours meilleurs, et personne ne sembla le remarquer lorsqu’il
courut sur les rails jusqu’au train. Il évita la
locomotive et passa sous les wagons.
— Dernier appel pour le vol du Galaxy Express à destination
d’Andromède. Les passagers sont priés
de se
présenter au quai 99 pour l’embarquement. Dernier
appel
pour le Galaxy Express.
La locomotive cracha un panache de fumée, et fit retentir
son
sifflet. Le bruit rebondit dans la gare vide, prenant un accent lugubre.
Le convoi se mit en branle, lentement.
Il s’accrocha au dernier wagon, jeta son sac par-dessus la
rambarde métallique puis entreprit de se hisser lui aussi
à l’intérieur.
Il n’y avait plus personne sur les quais.
Il s’accroupit contre la porte d’entrée
du wagon,
serrant son sac contre lui. Le train n’activerait son champ
de
confinement atmosphérique qu’une fois dans
l’espace.
Pour l’instant, le vent glacial lui fouettait encore le
visage et
transperçait ses vêtements trempés.
Mais il n’allait pas encore rentrer dans le train. Il lui
faudrait jouer à cache-cache avec le contrôleur,
dissimuler le plus longtemps possible qu’il ne
possédait
pas de billet.
On racontait que les passagers clandestins trouvés
à bord
du Galaxy Express étaient jetés directement dans
le vide.
Il préférait penser qu’ils
étaient
débarqués à
l’arrêt le plus proche. Il
suffisait qu’il ne se fasse pas prendre avant
d’être
suffisamment éloigné de la Terre…
Il frissonna.
Autour de lui, le ciel bleu fut peu à peu
remplacé par un
noir de plus en plus sombre, sur lequel scintillaient des milliards
d’étoiles. Ce n’était pas la
première
fois qu’il quittait sa planète, mais lorsque la
Terre se
détacha devant lui, boule bleue perdue dans
l’immensité, rapetissant de plus en plus vite, il
ressentit un pincement au cœur douloureux.
C’était toute sa vie qu’il laissait
là-bas, pour se jeter vers l’inconnu.
Il rassembla plus étroitement les pans de sa veste autour de
lui, dans l’espoir de conserver un peu de chaleur.
Sans succès.
N’y tenant plus, il jeta un coup d’œil
prudent à l’intérieur du wagon.
Il ne semblait pas être occupé.
Le compartiment était chauffé. Il
s’attarda devant
une bouche d’aération, pour rétablir la
circulation
dans ses doigts transis.
Puis il se pelotonna au fond de la dernière banquette. Les
fauteuils étaient confortables, et il décida
qu’il
avait mérité de se reposer un peu.
Il ne remarqua pas le témoin lumineux qui
s’était
activé lorsqu’il avait ouvert la porte, et qui
clignotait
depuis, imperturbable.
Il ferma les yeux, juste un instant…
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