Little Harlock stories













Terminus Andromède
3. Voyage


Les fenêtres du train offraient leur panorama immuable d’étoiles, rendues floues par la vitesse. Le garçon tentait de percer l’espace infini, le front appuyé contre la vitre.

— Je t’ai rapporté ton sac, annonça la fille. Et tu as manqué l’heure du dîner.
— Je n’ai pas faim, rétorqua-t-il.

Il mentait, mais elle ne réussirait pas à l’apprivoiser avec de la nourriture.

— Si tu es gêné parce que je t’invite à dîner, sache que les passagers possédant un billet pour le terminus ont libre accès au wagon restaurant, et disposent d’une avance monétaire fournie par la compagnie pour chaque escale. Tu n’auras pas à te soucier de problèmes financiers pendant ton voyage, et tu ne dépendras pas de ma charité.

Le garçon fit une moue sceptique. Il se retourna posément et fixa la fille dans les yeux.

— Vous m’avez donné ce billet, précisa-t-il.
— Parfois, il faut accepter de petits coups de pouce du destin, répondit la fille avec un sourire triste.

Elle s’assit en face de lui. Les lumières artificielles du train rendaient son teint encore plus pâle, et quelques mèches folles de cheveux blonds encadraient son visage d’un halo diaphane. Ses yeux reflétaient une tristesse insondable.
Elle avait l’air d’un ange tombé du ciel.

— Je m’appelle Maetel, dit-elle.

Le garçon ne répondit pas.
Il boudait. Il s’était juré de ne compter que sur lui même pour atteindre ses objectifs. Il ne voulait plus jamais se lier à qui que ce soit.
Cela faisait trop mal.

— Je voyage seule jusqu’à Andromède, continua la fille. Est-ce que tu acceptes de m’accompagner ?

Il plongea ses yeux dans les siens. Était-ce la solitude qui la rendait si triste ?

— Je ne vais pas sur Andromède, répondit-il.

La fille lui jeta un regard interloqué.

— Pourquoi es-tu monté à bord du Galaxy Express ? Tu ne désires pas obtenir un corps mécanisé ?

Il sourit. Il avait déjà croisé la mort, et il comprenait que l’on puisse vouloir la fuir en échangeant un corps de chair contre des pièces mécaniques. Mais il avait aussi croisé d’anciens humains, fiers d’exhiber leur nouveau corps serti de métaux précieux, et il se souvenait parfaitement de l’impression de froideur et… d’inhumanité qu’il avait ressenti.

— C’est ce que vous allez chercher ? demanda-t-il.

La fille baissa ses longs cils. Elle sembla ployer les épaules sous le poids d’un fardeau trop lourd pour elle.

— Oh, non, soupira-t-elle. Je n’ai pas besoin de ça…

Il leva un sourcil, mais ne demanda pas d’explications.

— Je ne fais qu’accompagner les jeunes gens dans leur quête d’immortalité, continua-t-elle. Encore et encore…

Il ne demanda pas non plus ce que devenaient ces voyageurs. Peut-être était-ce leur sort qui rendait son interlocutrice si triste.

— Il n’y a personne avec vous pour ce voyage, fit-il.
— La route est longue jusqu’au terminus…
— Je ne changerai pas d’avis.

Il regarda pensivement par la fenêtre. Le train était toujours entouré d’un champ d’étoiles.
Si belles, si froides…

— J’ai promis de me battre pour défendre ma vie de mortel, souffla-t-il.

Une expression étrange traversa les yeux de la fille. Quelque chose entre l’admiration et la déception.

— C’est dommage, dit-elle. Tu es fort et déterminé. Tu conviendrais parfaitement pour me suivre vers Andromède… Mais je crois que tu t’es déjà choisi ton destin.

Il cligna des yeux, perplexe. Cette fille parlait par énigmes. Il ne voyait pas du tout ce qu’elle avait voulu dire en répondant cela.
Elle parut s’en rendre compte et le gratifia d’un sourire.

— A quel arrêt descends-tu ? demanda-t-elle.

Elle essayait de prendre un ton badin, mais ses yeux restaient emplis de tristesse.

— Je ne sais pas encore. Je ne veux pas rester très longtemps à bord de ce train… Je ne veux pas parcourir l’espace suivant un trajet prédéfini à l’avance, expliqua-t-il.

La fille laissa à son tour son regard se perdre à travers la vitre.

— J’ai voyagé il y a quelque temps en compagnie d’une personne qui pensait exactement la même chose… Je n’ai pas pu la convaincre de rester.

Elle sourit à nouveau, et cette fois ses yeux sourirent également.

— Tu dois être aussi têtu qu’elle.

Il sentit qu’il pouvait le prendre comme un compliment. Il rougit involontairement et s’absorba dans la contemplation de ses ongles pour cacher son trouble.
Il aurait voulu oublier, mais le sourire de la fille faisait affluer les souvenirs.

Le silence s’installa dans le wagon.


— Heavy Melder, dit-elle soudain.
— Hmm ?
— Heavy Melder, répéta la fille. C’est là que tu dois descendre. C’est le carrefour commercial le plus important de ce côté de la galaxie. L’endroit idéal pour réaliser tes rêves… Il y existe une école d’astronavale prestigeuse, quelques autres qui le sont moins, et j’y connais également d’anciens pilotes qui s’y sont installé et qui pourront t’apprendre des rudiments de navigation.

Il leva les yeux du livre qu’il parcourait. Un livre ancien, relié de cuir, aux pages de papier jaunies.
Le seul lien qu’il lui restait avec avant.

— Pourquoi ?
— Quoi ?
— Pourquoi est-ce que vous m’aidez ? Je croyais que vous cherchiez des jeunes garçons à emmener sur Andromède ?
— Je ne sais pas, soupira-t-elle. J’ai l’intuition que tu es promis à un destin hors du commun.
— Vraiment ? Vous avez des pouvoirs psy ?

Elle ne répondit pas.


Elle était debout sur le quai de la gare, à quelques mètres du train, comme si elle n’osait pas s’en éloigner de peur qu’il ne reparte sans elle. Ses cheveux volaient autour d’elle, au même rythme que les respirations de la locomotive.

— Nous nous reverrons, affirma-t-il. Lorsque je croiserais de nouveau la route du Galaxy Express, je voguerai librement sur la mer d’étoiles.

Elle lui fit cadeau d’un de ses rares véritables sourires. Ses yeux pétillaient.

— J’en suis sûre, répondit-elle.

Elle hésita avant de poser la main sur son épaule. Elle semblait davantage avoir envie de le serrer dans ses bras.

— Tu ne m’as toujours pas dit ton nom.

Il réfléchit. Que signifiait son nom, à présent ? Qui se souviendrait de lui, là-bas ? Il repensa à ces moments uniques, ces soirées paisibles au bord d’un lac entouré de montagnes, lorsqu’il écoutait passionné des récits d’une époque depuis longtemps révolue.
Il ne changerait pas le passé, et les morts ne reviendraient jamais.

Sa main se referma sur le livre relié. Il relatait le périple d’un de ses lointains ancêtres du côté de sa mère…
Il sourit. Lui aussi finirait par trouver son Arcadia.

— Je m’appelle Harlock.


Retour haut de page
                Précédent