Little Harlock stories












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Chapitre 1 | Chapitre 2

Wanderlust



Disclaimers : le personnage principal m'appartient.

Chronologie : quelque part entre « avant » et « au début ». Interprétation libre. Et dévoyée.

Notes de l'auteur : défi récupéré par hasard, consistant à écrire sur une image. Ce que j'ai fait, en particulier à cause du titre et parce qu'on a toujours besoin de pratiquer les descriptions paysagères.

Orthographe : phénix. Sans « y ». Je sais.

Avertissement : références multiples à ma cosmogonie personnelle. Mon objectif n'était pas d'être explicite.

Pour SomeCoolName, à condition de parvenir jusqu'ici. Merci pour l'image.

1

Le dernier méandre du chemin révélait un îlot de verdure oublié.
Sur les versants escarpés, les mélèzes montaient à l'assaut des cimes. Entre leurs troncs coulait une brume paresseuse, dont les volutes effilochées se regroupaient plus bas en un brouillard compact. La vallée quittait rarement son carcan d'ombre. Ici, à la lisière de la couche nuageuse, les rayons de soleil faisaient miroiter chaque feuille gorgée de rosée et illuminaient la forêt de lueurs fantasmagoriques.

Le gosse avait l'air d'apprécier. Il n'avait cessé de se plaindre et de traîner les pieds tout au long de l'ascension, arguant qu'il perdait son temps, qu'il aurait mieux fait de s'entraîner au simulateur de vol et que Bob aurait sûrement préféré un peu d'aide pour l'inventaire, mais à présent il écarquillait les yeux, ravi, tournant la tête de tous côtés pour ne perdre aucune miette du spectacle.

— C'est génial, Mel ! Tu savais que des arbres pouvaient devenir aussi grands pour de vrai ?

Melvin Hardner retint un sourire. Ça, c'était bien la réaction typique d'un jeune galactique plus habitué aux stations orbitales et aux mégalopoles qu'aux virées en pleine nature ! se dit-il.
Le contrebandier se garda cependant de formuler la remarque à haute voix. Le gosse était susceptible.

— Oh, ceux-là sont encore petits, répondit-il d'un air soigneusement blasé. Il y en a de plus hauts un peu plus loin.
— Naan. J'te crois pas.
— Tu es prêt à parier, microbe ?

Le garçon eut l'intelligence de ne pas renchérir. Heureusement pour lui, il aurait perdu.

Quelques centaines de mètres les séparaient encore du col. Hardner s'octroya une pause lorsqu'il parvint sur la crête. Avec une lenteur calculée, il inspira profondément, goûtant avec volupté les odeurs de mousse et de terre humide qui chatouillaient ses narines, et prit un temps infini pour imprimer dans sa mémoire, parcelle par parcelle, la totalité du paysage qui s'étalait sous ses yeux. Puis il soupira de soulagement. Il retrouvait encore aujourd'hui son écrin de verdure intact, mais qui sait ? La prochaine fois, tout pouvait avoir disparu. La nature était éphémère et ses ennemis nombreux.

— Il y a un lac, Mel, regarde !

Le gosse courait presque, sautant de pierre en pierre tel un cabri. Hardner le suivit, amusé (et beaucoup plus prudemment). Il n'avait pas vu le gosse aussi excité depuis qu'il lui avait laissé les commandes du Phényx pour un décollage.

Bordé de mélèzes centenaires, le chemin descendait en pente douce vers les berges d'un lac de montagne, dont les eaux aigue-marine reflétaient les pics enneigés. Hardner laissa son regard se perdre dans le lointain. Dans un mois, une semaine, dès demain peut-être, l'appel de l'espace se ferait trop insistant. Dès demain peut-être, le Phényx reprendrait son errance entre les étoiles. Le gosse n'avait jamais connu que cette vie – c'était probablement pour cette raison qu'il ne tenait pas en place.
Dès demain…

— Mel, il y a un château aussi ! Mel !

Comme le gosse, le temps poursuivait sa course effrénée. Demain verrait d'autres mondes, des villes grouillantes, toutes identiques et toutes différentes, demain l'emmènerait toujours plus loin.
Demain.

— Mel !

Le contrebandier ferma les yeux. Le temps ne l'attendrait pas. Ici, il lui semblait pourtant possible de le ralentir. En ces lieux de quiétude, à l'encontre de toute logique, il paraissait soudain envisageable de suspendre le voyage, juste un instant, et de faire une pause dans l'éternelle fuite en avant.

— Mel ? Tu rêves ?

Hardner sursauta. Le gosse était revenu à ses côtés et le considérait avec une expression perplexe. Le contrebandier haussa les épaules. Les fantômes de son passé voletaient partout autour d'eux, glissant d'arbre en arbre, chuchotant des mots inaudibles à son oreille. Mais inutile d'ennuyer le gosse avec ça. La forêt, le lac et les édifices qui avaient été bâtis alentours appelaient aux souvenirs. L'enfant se forgerait les siens propres, et les histoires qu'il construirait grâce à eux n'appartiendraient qu'à lui.

Le gosse désigna le château du doigt. Jadis, ses tours effilées avaient dû défier le ciel. Aujourd'hui il n'en restait que quelques pans de murs effondrés, mangés par le lierre et le liseron.

— Des chevaliers ont habité ici, à ton avis ?
— Je ne sais pas, avoua l'adulte. Peut-être.

La figure du gamin s'épanouit.

— Ouais ! s'exclama-t-il. Des chevaliers pirates !

Armé d'une branche souple, le garçon se lança dans un combat farouche contre les fougères et disparut bientôt, avalé par le sous-bois.

— T'éloigne pas ! lui cria Hardner, bien conscient que le gosse ne l'écouterait de toute façon pas.

Fichu gamin, incapable de se poser ne serait-ce qu'une minute. L'adulte secoua la tête tout en poursuivant sa route vers les rives du lac. Bah, le gosse était débrouillard, il ne se perdrait pas. Et les ruines du château constituaient un bon point de repère.

Parvenu au bord de l'eau, le contrebandier laissa distraitement des vaguelettes lécher le bout de ses bottes, puis il avisa une souche. Le bois séché par le soleil avait été lissé par la pluie et le vent, et un renfoncement dans l'écorce formait un fauteuil idéal. L'endroit parfait.
Hardner s'installa avec soin : il ignorait combien de temps il devrait patienter. Il avait prévenu de sa venue, bien sûr, comme à chaque fois qu'il montait ici, mais il n'était jamais certain que son message avait été bien reçu. Un message retour aurait été trop dangereux. Restait l'espoir, brûlant, inextinguible, et les dernières minutes d'attente insoutenables.
Il commençait à s'assoupir lorsqu'un craquement discret se fit entendre dans son dos. Il sourit. Les pas étaient trop légers pour appartenir au gosse. Son message était donc arrivé à destination, encore pour cette fois.

Lorsqu'il se retourna, son regard pétillait de joie.

— Hey ! Bonjour, petite fleur des champs !

Le chemin lui avait amené une fillette chaussée de sandales et vêtue d'une robe d'été blanche, et qui le gratifia d'un sourire resplendissant en retour. Plus jeune que le gosse, elle avait dû fêter son neuvième anniversaire le mois dernier. Ses longues mèches blondes frôlaient presque ses genoux.
Hardner se leva vivement. En riant, il saisit la petite fille sous les épaules, la fit décoller du sol, tourner autour de lui, puis il la plaqua contre sa poitrine en une étreinte protectrice.

— Ta mère ? demanda-t-il.

L'enfant baissa les yeux.

— Elle attend au vieux chêne. Elle a dit qu'elle n'irait pas plus loin.

Hardner s'assombrit une fraction de seconde. La mère de l'enfant ne viendrait pas. Elle n'était jamais venue. Le contrebandier se força à se reprendre. Ne gâche pas ces précieuses minutes, se morigéna-t-il. Profite du temps présent. Demain, tu seras reparti.
Il posa son index sur le front de la fillette.

— Tu as encore grandi, toi !
— J'ai neuf ans ! répondit fièrement l'enfant. Je suis une grande fille !

Elle se tortilla pour se dégager des bras de l'adulte. Une fois à terre, elle exhiba le petit sac de toile brodé qu'elle portait en bandoulière.

— J'ai apporté des myrtilles, annonça-t-elle.

Le rituel était immuable. L'adulte et l'enfant s'assirent côte à côte et partagèrent en silence les fruits sucrés. La fillette lui montra ensuite divers trésors que seuls les enfants savent trouver : une plume, un bracelet de laiton, une poignée de cailloux brillants. Hardner admira de son air le plus sérieux, regretta de n'avoir rien amené, fouilla ses poches. Ceci, peut-être…
L'enfant accepta avec un mélange de joie et de gravité le boulon ébréché, vestige d'une opération de maintenance bénigne sur le Phényx. Son remerciement naïf et spontané perça le cœur d'Hardner.

— Passe le bonjour à ta mère pour moi, d'accord ?
— D'accord.

Comme obéissant à un signal entendu d'elle seule, la fillette sauta soudain sur ses pieds, posa un rapide baiser sur la joue d'Hardner, puis s'éloigna dans la direction d'où elle était venue. Elle se retourna en direction d'Hardner lorsqu'elle parvint au premier coude du chemin.

— Il faut que j'y aille ! cria-t-elle. Maman attend !

Le gosse choisit ce moment pour débouler d'un buisson, échevelé, couvert de terre et de feuilles, et stoppa sur le chemin à un mètre à peine de la fillette. Surpris, les deux enfants se figèrent un bref instant tandis que leurs yeux se croisaient. Puis le gosse jaugea sa cadette sans bouger, de haut en bas, les bras croisés et les lèvres pincées en une moue dédaigneuse. La fillette quant à elle eut un mouvement quasi imperceptible de recul apeuré, avant de tirer la langue au garçon et de s'enfuir sur le chemin.

Hardner s'attendait à ce que le gosse la poursuive, ou alors qu'il reprenne son exploration avortée et disparaisse à nouveau dans les fourrés, mais non. La rencontre semblait l'avoir calmé.
Le contrebandier se rapprocha du gamin. Le garçon leva vers lui un regard interrogatif.

— Tu la connais, Mel ?
— Oui.

Le gosse parut réfléchir intensément, puis hésita visiblement. Il avait l'air gêné, ce qui était mine de rien une expression très inhabituelle chez lui. « Elle est mignonne, ma blondinette, hein ? » songea Hardner. « C'est ça qui te trouble, microbe ? » Le contrebandier se retint à temps de ricaner. Le petit monstre clamait toujours à qui voulait l'entendre qu'il ne s'attacherait jamais à personne. Pas facile de museler ses sentiments, hmm ?

Le garçon ne se décida à reprendre la parole qu'à mi-chemin du trajet retour.

— Elle avait l'air gentille, lâcha le gosse dans un souffle. Comment elle s'appelle ?



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