Des jours ordinaires | ||
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Invasion
En souvenir d’une ficlet de modocanis, depuis longtemps perdue dans les tréfonds du net. — — C’est non. Debout derrière son bureau, Harlock affrontait vaillamment les regards réprobateurs du doc.
— Soyez raisonnable, capitaine. Harlock croisa les bras d’un air buté, dans une vaine tentative de signifier à son interlocuteur que la discussion était désormais close. Hélas, le médecin-chef de l’Arcadia n’était pas tombé de la dernière pluie (et il en avait vu bien d’autres avec lui), aussi ne se laissa-t-il pas impressionner.
— Vous êtes pire que Lydia, capitaine. Et je vous rappelle
que Lydia a six ans. C’est quoi votre âge, déjà ? Vexé, le capitaine se rassit dans son fauteuil. Zero l’avait interrompu alors qu’il se livrait à des tâches d’adulte bien ennuyeuses mais néanmoins indispensables (la planification du prochain ravitaillement en vivres, par exemple), et il aurait bien aimé terminer ça rapidement pour pouvoir retourner s’amuser en passerelle. — Pourquoi vous venez me faire chier alors que pour une fois je fais exactement ce que vous m’avez demandé ? chouina-t-il. Le doc leva les yeux au plafond avec autant de grandiloquence qu’un mauvais acteur dramatique devant supporter tous les malheurs du monde sur ses frêles épaules.
— Presque, capitaine. Le shampooing matin et soir, ce n’est
pas suffisant, vous le savez bien. Harlock préféra ne pas relever le sarcasme. Pourquoi le doc ne s’attardait-il pas plutôt sur les efforts qu’il avait faits ?
— Bordel, doc, vous savez quelle quantité de ces sales bêtes
j’ai déjà retiré de mes cheveux ? Le médecin fit le tour du bureau et se livra à une inspection de cheveux en règle sans se préoccuper de la mine renfrognée d’Harlock.
— Il en reste encore, statua-t-il une fois qu’il eût
terminé. Plein. Zero secoua la tête.
— Tous les adultes sont morts, capitaine. Le problème, c’est
que les lentes restent fixées à vos cheveux et que certaines
arrivent à résister au shampooing. Si vous ne les ôtez pas au
peigne, vous êtes reparti pour un tour. Le médecin passa les doigts dans une mèche de cheveux pour souligner ses propos. — Vos cheveux sont emmêlés. Peut-être un peu moins qu’il y a deux jours, mais quand vous passez le peigne vous devez accrocher en court de route et donc perdre en efficacité de brossage. Le doc tira sur la mèche pour en déployer toute la longueur. — Croyez-moi capitaine. Ce serait plus simple si vous en coupiez un morceau. — Zero revint à la charge le lendemain, en compagnie cette fois de Miss Masu et d’une tondeuse.
— C’est toujours non, leur lança Harlock, retranché
derrière son bureau comme un ultime rempart. … Et il n’allait pas en tenir compte, donc. C’était bien reçu. — Quoi qu’il en soit et puisqu’il faut bien faire avancer les choses, poursuivit le doc, je suis parti du principe que vous n’étiez pas décidé à le faire vous-même, quels que soient vos motifs, et j’ai donc amené une experte en la matière. Masu confirma en brandissant sa tondeuse, et l’on pouvait bien prétendre ce que l’on voulait, Harlock ne trouvait pas ça rassurant. — Ça m’ennuierait de devoir vous endormir pour vous faire passer chez le coiffeur, reprit Zero. De vous à moi, cela me semble tout de même un peu exagéré, vous ne croyez pas ? L’espace d’un instant, Harlock se demanda quoi répondre. Le simple fait que le doc évoque la possibilité d’un sédatif impliquait qu’il avait envisagé ce scénario et… bon sang, un peu exagéré ? Pour une coupe de cheveux c’était complètement hors de proportions, oui ! — Okay, céda-t-il. Très bien. Vous avez gagné. Le capitaine agita vaguement la main en direction de sa salle de bains.
— Je dois avoir une paire de ciseaux quelque part, je m’en
occupe. Masu fit sauter son arme dans sa main d’un mouvement nonchalant. — Je compte seulement raccourcir de dix à douze centimètres. Maximum, précisa-t-elle d’une voix rassurante. Et désépaissir un peu partout, évidemment. Harlock étouffa un juron.
— Douze centimètres ? Vous… Le doc jeta un coup d’œil en coin à Harlock avant de sortir.
— Vous allez être sage, capitaine ? Protester davantage ne mènerait qu’à plus de sarcasmes, admit-il. Il ne lui restait comme seule solution que de tenter de limiter les dégâts. — Pas plus de dix centimètres, c’est ça ? Même s’il ne savait pas trop pourquoi il s’arc-boutait sur ses positions, d’ailleurs. Par habitude, sûrement. — C’est ça, acquiesça Masu. Après une courte réflexion, Harlock décida que le salon de coiffure serait très bien dans son bureau. L’absence de miroir pour surveiller ce que Masu trafiquerait dans ses cheveux l’angoissait quelque peu, mais la salle de bains était trop étriquée (et puis il ne se voyait pas inviter Masu dans sa salle de bains). Le capitaine opta donc pour une des chaises qu’il réservait d’ordinaire aux invités, sur laquelle il s’assit à califourchon parce que le dossier s’avérait un peu trop haut pour que sa tortionnaire puisse travailler correctement. — J’espère que ça ne va pas être long, grommela-t-il. Masu répondit en allumant son engin diabolique. Par-dessus le « brzzt » bourdonnant de l’appareil et tandis que les cheveux commençaient à pleuvoir sur le parquet, elle dit :
— Répondez franchement capitaine, vous vous étiez déjà
servi d’une brosse à cheveux auparavant ? Il renifla.
— Scrupuleusement, répéta-t-il en appuyant chaque syllabe. La vieille dame tira à petits coups secs sur ses cheveux. Harlock se retint à temps de faire « aïe ».
— Il y a tellement de nœuds par ici que je pense qu’ils
n’ont jamais dû voir une brosse de leur vie. Masu souffla avec une intonation de réprobation parentale parfaitement perceptible.
— Eh bien je peux vous dire que certains s’en sont donnés à
cœur joie pour pondre dans ces tortillons bien serrés, capitaine,
et que vous ne risquez pas de les déloger avec les doigts. Masu tira encore une fois dans ses cheveux, des deux mains cette fois. — Bon, ça nécessite les grands moyens, soupira-t-elle. Bougez pas. La vieille dame se retourna pour farfouiller dans un sac de toile qu’elle avait apporté avec elle.
— Je peux poser mes affaires sur votre bureau, capitaine ? Harlock haussa un sourcil et observa avec une pointe de perplexité Masu poser sur la surface plane successivement trois brosses de tailles et de formes différentes, une petite paire de ciseaux, un peigne gigantesque et deux flacons emplis d’un liquide bleuté indéterminé.
— Vous avez vraiment besoin de tout cet attirail ?
demanda-t-il avec une curiosité sincère. Alors qu’Harlock se raidissait sur sa chaise et planifiait déjà le meilleur itinéraire de fuite, Masu attrapa un des flacons et le secoua vigoureusement. — … mais j’ai cru comprendre que vous vouliez garder de la longueur, alors je vais perdre un peu de temps pour rattraper tout ça… Démêlant, expliqua-t-elle comme il fixait le flacon avec suspicion. La vieille dame se saisit ensuite de la plus grande des brosses dans son autre main et releva le menton d’un geste sec.
— Par contre capitaine, pour éviter d’accrocher ma brosse
dedans, je vais vous demander de retirer votre cache-œil. Oui, bon… okay. Harlock obtempéra avant de s’apercevoir que la dernière phrase de Masu prêtait à confusion : il n’enlevait son cache-œil que pour dormir (et encore, pas tout le temps), ce qui impliquait donc que Masu sous-entendait qu’il avait dormi en sa compagnie, et les images mentales que cette idée générait auraient été, de son point de vue, tout à fait dispensables. Il ne put s’empêcher de frissonner. — Bougez pas, capitaine. Plus prosaïquement, Masu jouait souvent les infirmières pour alléger un peu la charge de travail du doc, elle avait certainement dû maintes fois avoir l’occasion de le déshabiller lorsqu’il échouait à l’infirmerie et… Non, cette idée-là n’était pas mieux que la précédente. Harlock se força à se concentrer sur un autre sujet. — Aïeuh ! râla-t-il. La riposte de Masu claqua tel un couperet. — Silence ou je rase tout. Elle le tortura de longues minutes durant, multipliant les giclées de démêlant, les coups de brosses et les jurons, à un point tel qu’il fut prêt de se rendre sans conditions et d’accepter n’importe quelle coupe de cheveux pourvu qu’elle cesse de les lui arracher par poignées. Finalement, au bout d’une éternité de souffrances et un nombre impressionnant de cheveux tombés au champ d’honneur, Masu lui donna une bourrade sur l’épaule. — Pfiou, ben c’était pas une sinécure ! Vous avez votre peigne à poux, capitaine, que je termine ? Il faillit répondre « ça va, je peux le faire moi-même », puis il se dit que bon, au point où il en était, autant laisser Masu se charger de cette corvée. Après le supplice qu’il venait de subir, il trouva l’opération délicieusement relaxante. — Zero avait raison, nota la vieille dame tandis qu’elle essuyait avec soin le peigne sur un linge après chaque passage dans ses cheveux. Il en restait plein. Elle lui rendit enfin son cache-œil avec un sourire. — Voilà. ‘va falloir continuer le traitement, bien sûr, mais ça devrait être plus facile de les enlever, à présent… Masu s’éclipsa après avoir ramassé ses affaires (et en gloussant, Harlock en était quasi certain), mais sans avoir balayé les cheveux qui traînaient. Le capitaine contempla le cataclysme avec une moue désolée. Le rangement allait être pour sa pomme, on dirait… Il ne lui restait qu’à trouver un robot de nettoyage avant qu’un courant d’air n’éparpille tout.
Mais avant cela, il prit toutefois le temps de faire un détour par
le miroir de sa salle de bain. Mmm. La sonnerie du visio-com interrompit ses pensées. C’était Kei.
— Capitaine, le radar longue portée a… euh… a détecté
trois appareils illumidas en bordure du quadrant Tango. L’hésitation n’avait pas échappé à Harlock. Il grimaça. Tout le monde serait au courant de ses déboires capillaires avant qu’il ne soit parvenu en passerelle.
Le capitaine jeta un regard aux cheveux qu’il abandonnait derrière
lui. Ce n’était pas comme s’il avait été capable de camoufler
sa nouvelle coupe, de toute façon. Lorsqu’il sortit de ses quartiers, Harlock eut un demi-sourire en se rappelant les recommandations de Masu. Avec une brosse ! Pff, quelle drôle d’idée ! Le capitaine passa la main dans ses cheveux pour les ébouriffer davantage. Avec les doigts ça marchait très bien. |
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