Little Harlock stories | ||
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Toucher les étoiles
Between the stars
Tout ce qu’il voulait, c’était toucher les étoiles. Maintenant. Sans attendre l’aval des adultes et la fin d’études interminables. Il savait qu’il en était capable. Il s’était par conséquent désintéressé des leçons « normales », avait dédaigné les conseils, ignoré les avertissements et les punitions, et avait passé l’essentiel de ces derniers mois à rassembler tout ce qui lui permettrait d’atteindre son objectif. Les cours théoriques, beaucoup trop techniques, l’avaient vite rebuté. Non, ce qui était fondamental, pensait-il, c’était la pratique. Et les simulateurs de vol en vente sur le marché atteignaient un degré de réalisme proche de la perfection… Il les testa donc tous, méthodiquement, jusqu’à les connaître sur le bout des doigts. D’abord sur sa propre console, dans sa chambre, puis dans les salles d’arcades de la ville lorsque les adultes, excédés de le voir passer des nuits blanches devant son écran, lui avaient confisqué son ordinateur. Cela l’avait ennuyé pendant une journée, puis il s’était aperçu que les salles de jeux possédaient du matériel bien plus sophistiqué que ce qu’il pouvait s’offrir – certaines disposaient même d’un véritable cockpit dans lequel toutes les commandes étaient fidèlement reproduites. Il progressa rapidement malgré les embûches que les adultes s’ingéniaient à lui tendre : des devoirs, un professeur particulier, monte dans ta chambre et je t’interdis d’en sortir… On lui avait tracé un avenir, afin qu’il ait des diplômes, un travail, une belle maison… Il n’en voulait pas, et personne ne semblait comprendre que ses « escapades » étaient vitales pour lui. Lorsqu’il estima que les tutoriaux et les différents programmes de conduite des simulateurs ne pourraient plus rien lui apprendre, il défia les autres joueurs. Certes, les premiers matchs furent difficiles. D’une part parce que ses adversaires étaient tous des « vieux » d’au moins vingt ans qui ne le prenaient pas au sérieux. D’autre part car il se rendit compte que les réflexes et les tactiques de vrais joueurs étaient autrement plus ardus à contrer qu’une IA, aussi perfectionnée soit-elle. Il apprit de ses erreurs et de ses premières défaites, observa les techniques de vol et tous les « trucs » des autres joueurs, s’appropria les stratégies qui lui semblaient les meilleures, glana des informations ici et là et développa petit à petit son propre style. Puis il commença à gagner systématiquement. Le jour où un habitué de la salle d’arcades qu’il fréquentait le présenta à ses amis comme « le meilleur pilote de simu que j’aie jamais rencontré », et qu’il lut dans leurs yeux une admiration incrédule et un respect sincère une fois qu’il les eût tous écrasés sur une course programmée en aléatoire, il sut qu’il était prêt. Bien sûr, il ne se faisait pas d’illusions. Aucun simulateur de vol ne reflétait la réalité du comportement d’un appareil réel, son poids, son inertie, et les sensations d’accélération que devait ressentir le pilote à l’intérieur. Il ignorait comment réagirait son corps dans cette situation et savait que cela risquait d’altérer son pilotage. Mais c’était justement ces sensations qu’il voulait connaître. Voler. Contrôler lui-même son propre jet, et ne pas rester cloué dans un simulateur de vol. Ce qu’il avait appris lui permettrait ne ne pas s’envoyer dans le décor, il en était persuadé. Pour le reste… L’essentiel était de décoller, il se préoccuperait des phases suivantes une fois en l’air. Il ne lui restait qu’à trouver un vrai jet. La saison sportive allait bientôt reprendre. La saison des courses de jets… Les quelques allusions qu’il avait lancées à la maison, devant les adultes, s’étant vues opposer une fin de non-recevoir, il avait planifié minutieusement les journées qui le séparaient encore de la course d’ouverture : un contre-la-montre, auquel il allait participer avec ou sans l’accord des adultes. Une course simple, un aller-retour quasiment en ligne droite, à pleine vitesse. Parfait. Il s’était renseigné sur la façon dont étaient sélectionnés les pilotes pour les courses. Cela avait été plus facile qu’il n’avait espéré : la majorité des habitués des salles d’arcades (et utilisateurs acharnés des simulateurs de vol dernier cri) étaient des pilotes eux-mêmes, ou d’anciens pilotes. Généralement, passé une certaine heure et après un nombre raisonnable de bières ou autres boissons alcoolisées, les « vétérans » des courses de jets ne se faisaient pas prier pour raconter leurs exploits. Ce qui lui permit d’obtenir deux informations fondamentales. Un, le contre-la-montre d’ouverture était toujours couru par des étudiants de l’Académie Astronavale. Deux, l’Académie possédait un bar de prédilection, dans lequel les cadets fêtaient leur sélection, la veille de la course. Il attendit donc patiemment cette date. Cette nuit-là, il sortit de sa chambre par la fenêtre, rejoignit le bar en question en empruntant le métro, commanda un jus de fruits et se planqua dans un coin pour échapper à d’éventuels regards adultes trop inquisiteurs. Il repéra sans peine les cadets sélectionnés, qui se congratulaient à grands coups de tapes dans le dos et de tournées générales, et attendit que l’un d’entre eux soit isolé pour l’aborder. — Alors comme ça, tu participes à la course de demain ? Le jeune homme était resté en arrière alors que les autres cadets quittaient le bar pour profiter de quelques heures de sommeil avant la course. Attablé au comptoir, il vidait verre sur verre, une expression pensive sur le visage et sans prêter aucune attention à ce qui l’entourait. Mais il n’avait pas été si difficile que ça à convaincre, en fin de compte… Même si le cadet n’avait probablement pas totalement décuvé lorsqu’il l’emmena en catimini dans le hangar qui abritait les monoréacteurs de course, le fit monter dans le cockpit, prit quelques mesures rapides afin « d’ajuster les commandes à sa taille » et lui donna rendez-vous pour le lendemain. Sa plus grande crainte durant toute la journée suivante et jusqu’à l’heure du rendez-vous fut que le cadet ait changé d’avis. Contre toute logique, il était toujours d’accord. Il semblait même excité à l’idée de tenter l’expérience, et lui montra les modifications qu’il avait apporté aux commandes de vol – en particulier pour que ses pieds touchent les palonniers (tout était conçu pour des adultes, et contrairement aux simulateurs de vol, ce n’était pas réglable… Pas avec une telle amplitude, tout du moins). Les appareils se plaçaient automatiquement sur la grille de départ grâce à un système de coussins magnétiques. Les pilotes n’avaient qu’à se préoccuper des derniers réglages et du préchauffage de leur machine. Durant toute cette phase, il s’attendait sans cesse à être sommé de descendre par un adulte, mais rien ne se passa. Il contempla presque incrédule le panneau d’affichage égrener le compte à rebours, les piétons s’écarter d’un pas pressé, les jets autour de lui rugir. Les feux de départ basculèrent à l’orange. Il sourit, et déroula la check-list qu’il avait appliqué des centaines de fois sur simulateur. Aucun jeu n’égalerait jamais celui-là. Vert. Le jet bondit en avant. C’était merveilleux. C’était effrayant. Le bruit des moteurs emplissait le cockpit. Le tableau de bord et les commandes vibraient. L’accélération le plaquait contre le siège et faisait remonter son estomac dans sa poitrine. C’était magique. Il volait. Il volait vite. Il filait vers la haute atmosphère, vers les étoiles… Un instant, il fut tenté de poursuivre plus loin que la balise de demi-tour, mais il se souvint que ce type d’appareil n’était pas conçu pour voyager dans l’espace. « Plus tard… », lui souffla une voix dans sa tête. Il revint vers la ligne d’arrivée. Ses concurrents n’existaient pas. Finalement, ils n’étaient pas différents des joueurs qu’il avait vaincus sur simulateur. Cela lui sembla si… facile de les dépasser. Il finit premier. Il savoura sa victoire, malgré les cris des adultes, malgré l’annulation de la course sous prétexte qu’il n’était pas « un pilote déclaré », et malgré la punition qu’il ne manquerait pas d’obtenir en lieu et place d’une médaille. Malgré la gifle. Il recommencerait. Et rien ne pourrait l’en empêcher. |
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