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|| 4 ||
Le
chemin des étoiles
Metal hurlant
Notes
préliminaires : voici une nouvelle aventure de
Bob, totalement originale (aucun pirate ne va passer dans les
parages, désolée) et pour laquelle j’ai testé
la méthode dite des « notes de bas de page »
– la technique reste à affiner, mais j’ai tout de
même réussi à écrire un texte plus long
que lesdites notes…
Disclaimers :
Bob l’Octodian m’appartient. Enfin, il n’habite pas
chez moi, évidemment ; il possède son propre bar
et la fibre voyageuse, ce qui l’a conduit à quitter sa
planète natale pour s’installer ailleurs, où que
ce soit.
L’histoire qui suit s’insère
au tout début de son périple galactique – les
Octodians vivent vieux, et celui qui nous intéresse a bien
l’intention de découvrir tout ce que l’Univers
voudra lui montrer.
Morgane m’appartient aussi. Plus
tard, elle commandera le Speranz et son pavillon sera craint partout
où elle passera. Mais pour l’instant, il faut encore
qu’elle se fraie un chemin jusqu’aux étoiles. Et
ce n’est pas toujours facile pour un néo-humain.
o-o-o-o-o-o
Le problème
avec les néo-humains, c’était qu’ils
étaient généralement dangereux. Oh, évidemment,
n’importe qui armé d’un pistolaser bon marché
était dangereux, et il y avait longtemps que le barman ne se
faisait plus aucune illusion sur la respectabilité de ses
clients, lesquels devaient tous posséder un arsenal plus
puissant qu’un petit pistolaser (1). Non, ce qui ennuyait le
barman, en l’occurrence, c’était que les
néo-humains pouvaient dans la plupart des cas profiter d’une
« caractéristique physique » (2) pour
prendre le dessus sur leur adversaire : dents, griffes,
tentacules… Quoi que ce soit, c’était de toute
façon toujours empoisonné, et neuf fois sur dix mortel
dans l’heure qui suivait (3).
— Allez vous
battre hors de mon établissement ! cria le
barman.
Mais il hésitait tout de même à
s’approcher. S’il s’était agi de deux
humains, il aurait utilisé sa technique habituelle (4), mais
là… Tout Octodian qu’il était, il ne
pouvait cependant pas tenir tête à n’importe
quelle race de la galaxie (5).
Le bar s’était scindé
en deux camps. D’un côté, une dizaine de
néo-humains encourageaient leur congénère, pour
l’instant occupé à étrangler son
adversaire d’un tentacule tout en lui tordant les bras ;
de l’autre, une paire de cyborgs, trois mécanoïdes
et une espèce de boîte lumineuse poussaient de grands
cris métalliques qui devaient avoir valeur d’encouragements,
eux-aussi, bien que du point de vue du barman cela ressemblât
plutôt à la plainte d’une vieille scie circulaire
rouillée.
Tous les autres clients étaient prudemment
en train de plier bagages (6).
Le cyborg qui avait commis
l’erreur de se mesurer à un néo-humain équipé
d’au moins deux paires de tentacules lâcha une série
de crépitements électriques suivis d’un arc
bleuté très esthétique (bien qu’apparemment
très douloureux). Les néo-humains rugirent
d’approbation, et le barman décida quant à lui de
se réfugier derrière son comptoir tout en cherchant du
regard un objet susceptible de lui servir d’arme.
Il savait
qu’il aurait dû acheter ce fusil lorsqu’il en avait
eu l’occasion (7).
Le silence tomba soudain. C’était
mauvais signe. Le barman jeta un coup d’œil par dessus le
comptoir : le cyborg était à terre, pour un bout
de temps semblait-il ; le bras qu’il s’était
fait tordre était à terre lui aussi, mais plus loin ;
ses amis n’avaient pas l’air d’apprécier la
chose.
Les deux groupes avaient dégainé leurs armes
et s’observaient avec haine. Il suffisait d’une étincelle
pour que tout s’embrase : elle prit la forme d’une
injonction diffusée par haut-parleur depuis l’extérieur
(« ici les forces de défense planétaire,
sortez les mains en l’air ! »). Cyborgs et
néo-humains oublièrent aussitôt leurs différends
pour se jeter à terre, s’abriter derrière des
tables renversées et ouvrir le feu en direction des policiers
qui devaient s’être déployés tout autour du
bar.
Le barman respira un grand coup, évalua ses chances de
survie en une fraction de seconde (8) et entreprit de ramper
discrètement vers la porte menant au sous-sol. Assez
bizarrement, il y parvint sans se faire remarquer ; il faut dire
que les belligérants étaient très occupés
à se tirer dessus mutuellement.
La cave était
fraîche. Quelques bonnes bouteilles d’alcools divers,
glanées ici et là (9), attendaient un client
pointilleux sur la qualité du service (10). La porte renforcée
ne laissait filtrer que des sons étouffés, mais
suffisamment néanmoins pour se rendre compte que la bataille
s’intensifiait, là-haut. Le barman soupira. Il n’avait
aucun doute sur l’issue de cette « altercation »,
que ce soit pour les néo-humains ou les cyborgs (11) : si
les soldats des forces de défense ne parvenaient pas à
déloger leurs adversaires, ils feraient appels à des
moyens plus lourds (12). Puis, lorsqu’ils auraient nettoyé
la zone, ils l’investigueraient, la fouilleraient de fond en
comble et confisqueraient tout objet susceptible d’être
utile pour l’enquête qui suivrait (13). Et ils
l’arrêteraient en tant que témoin.
Le barman
n’avait aucune envie de témoigner (14). Fort
opportunément, la cave possédait une sortie de secours
très pratique qui donnait dans l’immeuble voisin. Tout
en tendant l’oreille pour suivre l’évolution du
combat, le barman rassembla les meilleures de ses bouteilles dans le
plus grand sac qu’il avait pu trouver (15) avant de quitter sa
cave.
Il prit soin d’emprunter la porte de service lorsqu’il
arriva dans le hall de l’immeuble, puis il s’enfonça
dans le labyrinthe des ruelles et se perdit dans l’entrelacs de
taudis qui jouxtait l’astroport. Il ne fut pas inquiété
(16) et rejoignit sans encombre une masure branlante qui se donnait
le nom d’hôtel. Il y paya une chambre pour une semaine,
découragea les agresseurs à l’affût en
balançant un rôdeur par la fenêtre dès le
premier soir et attendit trois jours pleins avant de revenir à
proximité des locaux qui avaient abrité son bar.
Il
n’en restait pas grand’chose. Apparemment, les soldats de
forces de défense avaient jugé bon de tout brûler,
que ce soit pour l’exemple, en représailles pour avoir
servi des verres à des races catégorisées comme
dangereuses sur l’échelle de l’ISC, ou alors pour
dissimuler le fait qu’ils avaient dévalisé son
stock d’alcool – de toute façon le barman n’en
avait cure.
Il parcourut lentement les décombres encore
fumants, plus par nostalgie que dans l’espoir de récupérer
quelque chose qui soit toujours utilisable. Il faillit ne pas se
rendre compte de la présence de la gamine. Elle était
couverte de poussière et recroquevillée sur elle-même
entre deux poutres effondrées ; seuls des sanglots
étouffés trahissaient sa présence (17). Elle
semblait avoir une dizaine d’années – et devait en
réalité être bien moins âgée, vu la
précocité des gosses qui erraient dans ce quartier.
Le
barman s’approcha sans bruit et s’accroupit en face du
recoin qui dissimulait la fillette ; celle-ci leva vers lui de
grands yeux effrayés. C’est à ce moment que le
barman s’aperçut qu’il ne s’agissait pas
d’une gamine des rues, ni même d’une humaine,
d’ailleurs (18).
La gosse rentra la tête dans les
épaules et tenta de reculer dans le mur. Elle avait peur, ce
qui était normal, en fin de compte : elle devait
certainement accompagner le groupe de néo-humains, peut-être
avait-elle eu la permission de rester jouer dehors en les attendant,
et qui sait de quels détails de leur affrontement avec les
policiers elle avait été témoin.
— Ils sont tous morts ? demanda-t-elle d’une
petite voix.
— Je le crains, répondit le
barman. Les forces de défense ne font pas de cadeaux,
par ici. C’étaient tes parents ?
La
fillette secoua la tête en signe de dénégation,
mais n’ajouta rien. Le barman n’insista pas. Les
néo-humains qui se risquaient hors des Colonies Radioactives
ne le faisaient généralement pas de leur plein gré,
surtout s’ils étaient accompagnés d’une
enfant. Et si le groupe qui s’était fait décimer
avait été exclu du système communautaire
néo-humain à cause d’un crime quelconque, la vie
de la gosse n’avait pas dû être une partie de
plaisir.
— Je ne te ferai pas de mal,
déclara le barman. Je n’ai rien contre toi, tu
peux sortir de là-dessous.
La petite lui fit un
faible sourire.
— Je ne sais plus où
aller, répondit-elle.
— Je peux te
conduire jusqu’à la Colonie la plus proche, si tu veux.
Il y en a une dans ce système solaire, je crois…
Elle
le considéra longuement, avec une expression sérieuse
qui était bien trop mature pour une petite fille de cet
âge.
— Je n’ai pas le droit d’y
retourner, lâcha-t-elle finalement.
« Ça
ne m’étonne pas », pensa le barman. Il tendit
la main à l’enfant (19).
— Tu ne peux
pas non plus rester ici, dit-il. Viens.
Elle
haussa un sourcil perplexe.
— Voyager en ma
compagnie n’est pas recommandé si l’on veut éviter
les ennuis, minauda-t-elle, reprenant très certainement
une phrase qu’elle avait entendue dans la bouche d’un
adulte.
— Tu m’as bien regardé ?
rit le barman. J’ai tous les bras qu’il faut pour
me débarrasser des ennuis qui se mettent sur mon chemin !
La
fillette hésita. Elle fixa l’Octodian avec curiosité
(20) puis s’extirpa prudemment de son abri. L’adulte et
l’enfant s’observèrent en silence quelques
minutes.
— Tu m’emmènes, alors ?
fit-elle soudain.
Ce fut au tour du barman d’hésiter.
Il se rendait compte, tout à coup, qu’il était à
présent responsable de cette gamine, qu’il allait devoir
la nourrir, l’éduquer… devenir sa famille. Il
n’était pas sûr de le vouloir. Lui-même
devait déjà surmonter les inévitables problèmes
qui se posaient à un Octodian évoluant dans une galaxie
largement dominée par la race humaine, comment allait-il
pouvoir réussir s’il s’encombrait d’une
gosse mutante ?
Elle lui adressa un large sourire. Il n’y
avait pas la moindre trace de méfiance dans ses yeux félins.
Le barman eut un pincement au cœur. S’il la laissait là,
elle serait à la merci du premier trafiquant qui passerait.
Elle finirait dans un bordel, droguée et jetée en
pâture à la faune masculine des spatioports (21).
Il
craqua. Il savait qu’il allait vers des temps plus difficiles,
qu’il ne pourrait plus vivre au jour le jour comme il le
faisait, mais comment aurait-il pu résister au sourire de la
gamine ?
— On va à la gare,
déclara-t-il. Il me reste assez d’argent pour
acheter deux billets.
La fillette ne répondit
rien mais ses yeux s’illuminèrent de joie, et elle
s’agrippa fermement à un des bras du barman (22).
— C’est quoi, ton nom ? demanda-t-elle.
— Bobsdqildjavlb. Je suis Octodian, précisa-t-il.
Il
sourit lorsque la fillette tenta silencieusement d’articuler le
nom en fronçant les sourcils.
— Mais tu
peux m’appeler Bob, ajouta-t-il.
— Bob,
répéta la gosse. C’est mieux.
Elle
resserra un peu plus sa prise sur le bras du barman, qui n’aurait
pas cru ça possible, comme si elle craignait de le voir
disparaître entre ses doigts.
— Et toi ?
reprit-il. Comment t’appelles-tu ?
— Morgane.
Un train siffla au loin. Quel qu'il soit,
il ne s'agissait pas d'un express inter-système (ces trains là
ne sifflaient pas). Et, quel qu'il soit, il les emmènerait
loin de cette planète.
Sur le chemin des étoiles.
o-o-o-o-o-o
(1) Mais après tout, il
avait choisi de s’installer à proximité du
spatioport alors qu’il savait très bien quelle était
la faune qui traînait dans les parages.
(2) Il ne fallait
pas parler de mutation, ça les vexait.
(3) Il va de soit
que ces statistiques dites « de comptoir » sont
légèrement catastrophiques : d’après
les études réalisées par l’Institut
Scientifique Central, seuls soixante-huit pour cent des mutants
« néo-humains » sont capables d’infliger
des blessures létales. Par mesure de précaution, l’ISC
recommande toutefois de tirer à vue.
(4) A savoir,
empoigner les belligérants par le col et les jeter dehors manu
militari.
(5) Octo est la huitième planète d’un
petit système camouflé derrière une nébuleuse
isolée. Elle a doté ses habitants d’une grande
taille et de beaucoup de bras, et a été découverte
durant la grande période des colonisations humaines sans
toutefois beaucoup intéresser le gouvernement terrien :
pauvre en ressources, son unique continent est de plus –
inconvénient non négligeable – déjà
fortement urbanisé par les autochtones. Ceux-ci sont d’un
naturel affable mais savent néanmoins se servir avec dextérité
de tous leurs bras lorsqu’ils sont poussés à se
battre – que ce soit pour défendre leur indépendance
contre les forces terriennes ou mettre de l’ordre dans leur
bar. Plutôt sédentaires, un petit nombre d’entre
eux ont tenté l’aventure galactique, généralement
en tant que mercenaires. Un barman est une rareté : les
Octodians ne subissent pas les effets de l’alcool et
appréhendent par conséquent assez mal l’idée
de se regrouper pour en boire.
(6) Sans forcément régler
leurs consommations, d’ailleurs.
(7) A vrai dire, il avait
déjà manqué au moins trois occasions depuis
qu’il s’était installé, mais il estimait
que les trafiquants qui essayaient de lui refourguer leur camelote en
même temps qu’ils vidaient une bouteille d’alcool
frelaté n’étaient pas dignes de confiance. Ce qui
était, d’un point de vue strictement objectif,
parfaitement exact.
(8) Proches de zéro, s’il restait
ici.
(9) De manière plus ou moins légale (le barman
savait très bien négocier à son profit :
généralement en suspendant ses fournisseurs par les
pieds au dessus d’un pont).
(10) Et très
fortuné.
(11) L’ISC a pour les cyborgs non
réglementés (c’est-à-dire ceux qui se sont
fait greffer un peu trop d’armes bio-mécaniques) la même
politique que pour les néo-humains : éliminer le
problème.
(12) Comme les lance-flammes, les lasers de gros
calibre ou les armes biochimiques. Ou les missiles sol-sol.
(13)
Ceci pour ne pas utiliser le terme « pillage
systématique ».
(14) Quatre-vingt-dix pour cent
de son stock provenait de la contrebande. Si les forces de l’ordre
s’intéressaient de trop près à lui, il
n’était pas prêt se sortir de leur griffes.
(15)
Hors de question qu’il laisse du brandy d’Andromède
vieilli en fût entre les mains d’ivrognes incultes.
(16)
Aucun policier ne se risquait jamais dans ce quartier. La seule façon
d’y retrouver quelqu’un qui s’y cachait, c’était
d’attendre qu’il sorte. Ou de tout raser.
(17) Les
Octodians ne possèdent pas une ouïe particulièrement
développée, mais celui qui nous intéresse est
capable de discerner le tintement d’une fausse pièce par
dessus le brouhaha d’un bar en pleine heure de pointe.
(18)
Ce devait être à cause des pupilles trop verticales. Ou
du contraste cheveux rouges / peau verte.
(19) Au moins, elle
n’avait pas l’air d’avoir de griffes.
(20)
Apparemment, les bras multiples la fascinaient. Ce devait pourtant
être une caractéristique mutagène commune chez
les néo-humains.
(21) Certains habitués de son
ex-bar s’était vantés de rechercher des
sensations inédites au lit. Il semblait que l’acquisition
de néo-humaines était la dernière touche à
la mode de ce que leurs clients appelaient avec discrétion des
« maisons spécialisées ».
(22)
Elle ne risquait pas de s’envoler (il aurait fallu arracher le
bras du barman, pour ça).
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