Rencontres avec...













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Le chemin des étoiles
Metal hurlant



Notes préliminaires : voici une nouvelle aventure de Bob, totalement originale (aucun pirate ne va passer dans les parages, désolée) et pour laquelle j’ai testé la méthode dite des « notes de bas de page » – la technique reste à affiner, mais j’ai tout de même réussi à écrire un texte plus long que lesdites notes…

Disclaimers : Bob l’Octodian m’appartient. Enfin, il n’habite pas chez moi, évidemment ; il possède son propre bar et la fibre voyageuse, ce qui l’a conduit à quitter sa planète natale pour s’installer ailleurs, où que ce soit.
L’histoire qui suit s’insère au tout début de son périple galactique – les Octodians vivent vieux, et celui qui nous intéresse a bien l’intention de découvrir tout ce que l’Univers voudra lui montrer.
Morgane m’appartient aussi. Plus tard, elle commandera le Speranz et son pavillon sera craint partout où elle passera. Mais pour l’instant, il faut encore qu’elle se fraie un chemin jusqu’aux étoiles. Et ce n’est pas toujours facile pour un néo-humain.

o-o-o-o-o-o

Le problème avec les néo-humains, c’était qu’ils étaient généralement dangereux. Oh, évidemment, n’importe qui armé d’un pistolaser bon marché était dangereux, et il y avait longtemps que le barman ne se faisait plus aucune illusion sur la respectabilité de ses clients, lesquels devaient tous posséder un arsenal plus puissant qu’un petit pistolaser (1). Non, ce qui ennuyait le barman, en l’occurrence, c’était que les néo-humains pouvaient dans la plupart des cas profiter d’une « caractéristique physique » (2) pour prendre le dessus sur leur adversaire : dents, griffes, tentacules… Quoi que ce soit, c’était de toute façon toujours empoisonné, et neuf fois sur dix mortel dans l’heure qui suivait (3).

— Allez vous battre hors de mon établissement ! cria le barman.

Mais il hésitait tout de même à s’approcher. S’il s’était agi de deux humains, il aurait utilisé sa technique habituelle (4), mais là… Tout Octodian qu’il était, il ne pouvait cependant pas tenir tête à n’importe quelle race de la galaxie (5).
Le bar s’était scindé en deux camps. D’un côté, une dizaine de néo-humains encourageaient leur congénère, pour l’instant occupé à étrangler son adversaire d’un tentacule tout en lui tordant les bras ; de l’autre, une paire de cyborgs, trois mécanoïdes et une espèce de boîte lumineuse poussaient de grands cris métalliques qui devaient avoir valeur d’encouragements, eux-aussi, bien que du point de vue du barman cela ressemblât plutôt à la plainte d’une vieille scie circulaire rouillée.
Tous les autres clients étaient prudemment en train de plier bagages (6).

Le cyborg qui avait commis l’erreur de se mesurer à un néo-humain équipé d’au moins deux paires de tentacules lâcha une série de crépitements électriques suivis d’un arc bleuté très esthétique (bien qu’apparemment très douloureux). Les néo-humains rugirent d’approbation, et le barman décida quant à lui de se réfugier derrière son comptoir tout en cherchant du regard un objet susceptible de lui servir d’arme.
Il savait qu’il aurait dû acheter ce fusil lorsqu’il en avait eu l’occasion (7).

Le silence tomba soudain. C’était mauvais signe. Le barman jeta un coup d’œil par dessus le comptoir : le cyborg était à terre, pour un bout de temps semblait-il ; le bras qu’il s’était fait tordre était à terre lui aussi, mais plus loin ; ses amis n’avaient pas l’air d’apprécier la chose.
Les deux groupes avaient dégainé leurs armes et s’observaient avec haine. Il suffisait d’une étincelle pour que tout s’embrase : elle prit la forme d’une injonction diffusée par haut-parleur depuis l’extérieur (« ici les forces de défense planétaire, sortez les mains en l’air ! »). Cyborgs et néo-humains oublièrent aussitôt leurs différends pour se jeter à terre, s’abriter derrière des tables renversées et ouvrir le feu en direction des policiers qui devaient s’être déployés tout autour du bar.
Le barman respira un grand coup, évalua ses chances de survie en une fraction de seconde (8) et entreprit de ramper discrètement vers la porte menant au sous-sol. Assez bizarrement, il y parvint sans se faire remarquer ; il faut dire que les belligérants étaient très occupés à se tirer dessus mutuellement.

La cave était fraîche. Quelques bonnes bouteilles d’alcools divers, glanées ici et là (9), attendaient un client pointilleux sur la qualité du service (10). La porte renforcée ne laissait filtrer que des sons étouffés, mais suffisamment néanmoins pour se rendre compte que la bataille s’intensifiait, là-haut. Le barman soupira. Il n’avait aucun doute sur l’issue de cette « altercation », que ce soit pour les néo-humains ou les cyborgs (11) : si les soldats des forces de défense ne parvenaient pas à déloger leurs adversaires, ils feraient appels à des moyens plus lourds (12). Puis, lorsqu’ils auraient nettoyé la zone, ils l’investigueraient, la fouilleraient de fond en comble et confisqueraient tout objet susceptible d’être utile pour l’enquête qui suivrait (13). Et ils l’arrêteraient en tant que témoin.
Le barman n’avait aucune envie de témoigner (14). Fort opportunément, la cave possédait une sortie de secours très pratique qui donnait dans l’immeuble voisin. Tout en tendant l’oreille pour suivre l’évolution du combat, le barman rassembla les meilleures de ses bouteilles dans le plus grand sac qu’il avait pu trouver (15) avant de quitter sa cave.
Il prit soin d’emprunter la porte de service lorsqu’il arriva dans le hall de l’immeuble, puis il s’enfonça dans le labyrinthe des ruelles et se perdit dans l’entrelacs de taudis qui jouxtait l’astroport. Il ne fut pas inquiété (16) et rejoignit sans encombre une masure branlante qui se donnait le nom d’hôtel. Il y paya une chambre pour une semaine, découragea les agresseurs à l’affût en balançant un rôdeur par la fenêtre dès le premier soir et attendit trois jours pleins avant de revenir à proximité des locaux qui avaient abrité son bar.

Il n’en restait pas grand’chose. Apparemment, les soldats de forces de défense avaient jugé bon de tout brûler, que ce soit pour l’exemple, en représailles pour avoir servi des verres à des races catégorisées comme dangereuses sur l’échelle de l’ISC, ou alors pour dissimuler le fait qu’ils avaient dévalisé son stock d’alcool – de toute façon le barman n’en avait cure.
Il parcourut lentement les décombres encore fumants, plus par nostalgie que dans l’espoir de récupérer quelque chose qui soit toujours utilisable. Il faillit ne pas se rendre compte de la présence de la gamine. Elle était couverte de poussière et recroquevillée sur elle-même entre deux poutres effondrées ; seuls des sanglots étouffés trahissaient sa présence (17). Elle semblait avoir une dizaine d’années – et devait en réalité être bien moins âgée, vu la précocité des gosses qui erraient dans ce quartier.
Le barman s’approcha sans bruit et s’accroupit en face du recoin qui dissimulait la fillette ; celle-ci leva vers lui de grands yeux effrayés. C’est à ce moment que le barman s’aperçut qu’il ne s’agissait pas d’une gamine des rues, ni même d’une humaine, d’ailleurs (18).
La gosse rentra la tête dans les épaules et tenta de reculer dans le mur. Elle avait peur, ce qui était normal, en fin de compte : elle devait certainement accompagner le groupe de néo-humains, peut-être avait-elle eu la permission de rester jouer dehors en les attendant, et qui sait de quels détails de leur affrontement avec les policiers elle avait été témoin.

— Ils sont tous morts ? demanda-t-elle d’une petite voix.
— Je le crains, répondit le barman. Les forces de défense ne font pas de cadeaux, par ici. C’étaient tes parents ?

La fillette secoua la tête en signe de dénégation, mais n’ajouta rien. Le barman n’insista pas. Les néo-humains qui se risquaient hors des Colonies Radioactives ne le faisaient généralement pas de leur plein gré, surtout s’ils étaient accompagnés d’une enfant. Et si le groupe qui s’était fait décimer avait été exclu du système communautaire néo-humain à cause d’un crime quelconque, la vie de la gosse n’avait pas dû être une partie de plaisir.

— Je ne te ferai pas de mal, déclara le barman. Je n’ai rien contre toi, tu peux sortir de là-dessous.

La petite lui fit un faible sourire.

— Je ne sais plus où aller, répondit-elle.
— Je peux te conduire jusqu’à la Colonie la plus proche, si tu veux. Il y en a une dans ce système solaire, je crois…

Elle le considéra longuement, avec une expression sérieuse qui était bien trop mature pour une petite fille de cet âge.

— Je n’ai pas le droit d’y retourner, lâcha-t-elle finalement.

« Ça ne m’étonne pas », pensa le barman. Il tendit la main à l’enfant (19).

— Tu ne peux pas non plus rester ici, dit-il. Viens.

Elle haussa un sourcil perplexe.

— Voyager en ma compagnie n’est pas recommandé si l’on veut éviter les ennuis, minauda-t-elle, reprenant très certainement une phrase qu’elle avait entendue dans la bouche d’un adulte.
— Tu m’as bien regardé ? rit le barman. J’ai tous les bras qu’il faut pour me débarrasser des ennuis qui se mettent sur mon chemin !

La fillette hésita. Elle fixa l’Octodian avec curiosité (20) puis s’extirpa prudemment de son abri. L’adulte et l’enfant s’observèrent en silence quelques minutes.

— Tu m’emmènes, alors ? fit-elle soudain.

Ce fut au tour du barman d’hésiter. Il se rendait compte, tout à coup, qu’il était à présent responsable de cette gamine, qu’il allait devoir la nourrir, l’éduquer… devenir sa famille. Il n’était pas sûr de le vouloir. Lui-même devait déjà surmonter les inévitables problèmes qui se posaient à un Octodian évoluant dans une galaxie largement dominée par la race humaine, comment allait-il pouvoir réussir s’il s’encombrait d’une gosse mutante ?
Elle lui adressa un large sourire. Il n’y avait pas la moindre trace de méfiance dans ses yeux félins. Le barman eut un pincement au cœur. S’il la laissait là, elle serait à la merci du premier trafiquant qui passerait. Elle finirait dans un bordel, droguée et jetée en pâture à la faune masculine des spatioports (21).
Il craqua. Il savait qu’il allait vers des temps plus difficiles, qu’il ne pourrait plus vivre au jour le jour comme il le faisait, mais comment aurait-il pu résister au sourire de la gamine ?

— On va à la gare, déclara-t-il. Il me reste assez d’argent pour acheter deux billets.

La fillette ne répondit rien mais ses yeux s’illuminèrent de joie, et elle s’agrippa fermement à un des bras du barman (22).

— C’est quoi, ton nom ?  demanda-t-elle.
— Bobsdqildjavlb. Je suis Octodian, précisa-t-il.

Il sourit lorsque la fillette tenta silencieusement d’articuler le nom en fronçant les sourcils.

— Mais tu peux m’appeler Bob, ajouta-t-il.
— Bob, répéta la gosse. C’est mieux.

Elle resserra un peu plus sa prise sur le bras du barman, qui n’aurait pas cru ça possible, comme si elle craignait de le voir disparaître entre ses doigts.

— Et toi ? reprit-il. Comment t’appelles-tu ?
— Morgane.

Un train siffla au loin. Quel qu'il soit, il ne s'agissait pas d'un express inter-système (ces trains là ne sifflaient pas). Et, quel qu'il soit, il les emmènerait loin de cette planète.
Sur le chemin des étoiles.

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(1) Mais après tout, il avait choisi de s’installer à proximité du spatioport alors qu’il savait très bien quelle était la faune qui traînait dans les parages.
(2) Il ne fallait pas parler de mutation, ça les vexait.
(3) Il va de soit que ces statistiques dites « de comptoir » sont légèrement catastrophiques : d’après les études réalisées par l’Institut Scientifique Central, seuls soixante-huit pour cent des mutants « néo-humains » sont capables d’infliger des blessures létales. Par mesure de précaution, l’ISC recommande toutefois de tirer à vue.
(4) A savoir, empoigner les belligérants par le col et les jeter dehors manu militari.
(5) Octo est la huitième planète d’un petit système camouflé derrière une nébuleuse isolée. Elle a doté ses habitants d’une grande taille et de beaucoup de bras, et a été découverte durant la grande période des colonisations humaines sans toutefois beaucoup intéresser le gouvernement terrien : pauvre en ressources, son unique continent est de plus – inconvénient non négligeable – déjà fortement urbanisé par les autochtones. Ceux-ci sont d’un naturel affable mais savent néanmoins se servir avec dextérité de tous leurs bras lorsqu’ils sont poussés à se battre – que ce soit pour défendre leur indépendance contre les forces terriennes ou mettre de l’ordre dans leur bar. Plutôt sédentaires, un petit nombre d’entre eux ont tenté l’aventure galactique, généralement en tant que mercenaires. Un barman est une rareté : les Octodians ne subissent pas les effets de l’alcool et appréhendent par conséquent assez mal l’idée de se regrouper pour en boire.
(6) Sans forcément régler leurs consommations, d’ailleurs.
(7) A vrai dire, il avait déjà manqué au moins trois occasions depuis qu’il s’était installé, mais il estimait que les trafiquants qui essayaient de lui refourguer leur camelote en même temps qu’ils vidaient une bouteille d’alcool frelaté n’étaient pas dignes de confiance. Ce qui était, d’un point de vue strictement objectif, parfaitement exact.
(8) Proches de zéro, s’il restait ici.
(9) De manière plus ou moins légale (le barman savait très bien négocier à son profit : généralement en suspendant ses fournisseurs par les pieds au dessus d’un pont).
(10) Et très fortuné.
(11) L’ISC a pour les cyborgs non réglementés (c’est-à-dire ceux qui se sont fait greffer un peu trop d’armes bio-mécaniques) la même politique que pour les néo-humains : éliminer le problème.
(12) Comme les lance-flammes, les lasers de gros calibre ou les armes biochimiques. Ou les missiles sol-sol.
(13) Ceci pour ne pas utiliser le terme « pillage systématique ».
(14) Quatre-vingt-dix pour cent de son stock provenait de la contrebande. Si les forces de l’ordre s’intéressaient de trop près à lui, il n’était pas prêt se sortir de leur griffes.
(15) Hors de question qu’il laisse du brandy d’Andromède vieilli en fût entre les mains d’ivrognes incultes.
(16) Aucun policier ne se risquait jamais dans ce quartier. La seule façon d’y retrouver quelqu’un qui s’y cachait, c’était d’attendre qu’il sorte. Ou de tout raser.
(17) Les Octodians ne possèdent pas une ouïe particulièrement développée, mais celui qui nous intéresse est capable de discerner le tintement d’une fausse pièce par dessus le brouhaha d’un bar en pleine heure de pointe.
(18) Ce devait être à cause des pupilles trop verticales. Ou du contraste cheveux rouges / peau verte.
(19) Au moins, elle n’avait pas l’air d’avoir de griffes.
(20) Apparemment, les bras multiples la fascinaient. Ce devait pourtant être une caractéristique mutagène commune chez les néo-humains.
(21) Certains habitués de son ex-bar s’était vantés de rechercher des sensations inédites au lit. Il semblait que l’acquisition de néo-humaines était la dernière touche à la mode de ce que leurs clients appelaient avec discrétion des « maisons spécialisées ».
(22) Elle ne risquait pas de s’envoler (il aurait fallu arracher le bras du barman, pour ça).


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