Invasions














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Quand lama fâché

4



Harlock se réveilla en sursaut quand sa tête fut brutalement tirée en arrière par les cheveux. Il paniqua une fraction de seconde, s’imaginant déjà égorgé sans avoir la possibilité de se défendre, puis il s’aperçut de la nature exacte de son tortionnaire.
C’était un lama.
Agacé, Harlock se dégagea d’un geste sec, non sans y laisser une touffe de cheveux au passage.

— Eh ! Va brouter ailleurs, sale bête !

Le lama ne s’en formalisa pas (il en fallait beaucoup pour formaliser un lama, de toute évidence), et continua à ruminer tranquillement.
… Ce n’était pas la même bestiole que la veille, remarqua par ailleurs Harlock. Celle-ci était de couleur plus sombre et beaucoup plus poilue. Plus affectueuse également, grimaça le capitaine tandis que le lama revenait à la charge et tentait de grignoter son col.

— Raaah, mais ouste ! Allez, du balai !

En revanche, fut forcé de convenir Harlock, s’il y avait bien un enseignement à tirer de la présence de son nouvel ami, c’était qu’il avait été retrouvé par un lama. Un -idiot -de -lama. Un constat accablant, duquel il était possible de déduire deux choses : 1) ses piètres performances pour brouiller ses traces, et 2) les lamas et lui avaient fui d’instinct de la même manière. La conclusion de ce deuxième point sous-entendait cependant que le capitaine pirate possédait autant de jugeote qu’un lama, ce qui était somme toute un peu vexant. Enfin bref. C’était un miracle que le Yautja ne lui ait pas déjà fait sa fête.
Harlock étira ses muscles ankylosés avant de se remettre debout. Malgré la chaleur tropicale, il frissonna. À dormir sur un rocher, dans des vêtements humides… Bordel, il n’allait pas tomber malade, en plus !
Le lama profita de son inattention pour lui lécher l’oreille. Préoccupé, Harlock ne réagit pas. Et maintenant ? se demanda-t-il. Il pouvait continuer à fuir sans garantie de semer son poursuivant (si toutefois le Yautja le suivait, ce qui restait encore à prouver), ou contre-attaquer. Aucune de ces options ne prévalait sur l’autre, malheureusement. La réputation des Yautjas les décrivaient aussi bon en traque qu’en combat singulier.

Harlock sentit une vague de découragement l’envahir le temps d’une hésitation fugitive, puis serra les mâchoires. Non, plus de fuite, décida-t-il. Il allait se poster, se camoufler et attendre (une tactique qui le dispenserait au moins de courir à l’aveugle dans la jungle). Le capitaine jeta un coup d’œil au lama. … Et il possédait de quoi monter un piège efficace, songea-t-il avec un sourire mauvais. Le Yautja allait comprendre qu’il n’était pas le seul à savoir faire sauter des montagnes.
Il fallut au capitaine pirate un peu moins d’une heure pour installer une micro-charge, poser à proximité une caisse de munitions, attacher le lama bien en vue un peu plus loin en guise de leurre et arranger les lieux pour donner l’illusion d’un campement.
Harlock se posta en surplomb entre deux rochers moussus couverts de fougères. Il prévoyait de rester en planque tout la journée. Si personne ne s’était manifesté à la tombée de la nuit, il considérerait que le Yautja s’était trouvé une autre proie et il pourrait ainsi consacrer toute son énergie à rejoindre l’Arcadia. Dans le cas contraire, il avait l’avantage de la surprise.
Du moins, il l’espérait.

L’attente releva d’une lente torture. En plus de son épaule toujours douloureuse, Harlock devait désormais s’accommoder de raideurs dans les genoux. Et les écorchures encore suintantes de ses mains avaient pris une drôle de couleur. Lorsqu’il se surprit à piquer du nez dans la mousse pour la deuxième fois, il craignit que son idée ne tourne court. Il secoua la tête et se passa la main sur les yeux. Un peu de volonté, que diable ! Son piège serait inopérant s’il n’était pas conscient pour le déclencher !
Le capitaine remarqua alors un changement : le lama, en contrebas, s’était figé. Les oreilles dressées, il avait adopté une posture identique à celle dont Harlock avait été témoin la veille avec l’autre bestiole… juste avant que le Yautja ne lui tire dessus.
Le capitaine banda ses muscles. C’était l’instant de vérité. Il ne vit d’abord rien, mais tout bruit déserta soudain la jungle. Seul le lama exprimait sa nervosité en produisant des sons à mi-chemin entre le raclement de gorge et l’éternuement.

Harlock se crispa. Camouflage par réfraction lumineuse, déduisit-il. S’il voulait voir le Yautja, il devait déceler les perturbations autour de lui : des zones de flou en suspension dans l’air, par exemple, ou des mouvements anormaux de végétation. Le lama possédait cependant un coup d’avance sur lui. Alors qu’Harlock fouillait toujours la jungle du regard, l’animal rua soudain. L’espace d’un court instant, les fougères à proximité semblèrent occultées par une brume de chaleur… C’était plus qu’il n’en fallait à Harlock pour viser et tirer.
Le grésillement sec caractéristique d’un bouclier en surcharge lui indiqua qu’il avait fait mouche. Enfin… Qu’il avait touché un bouclier, pour être exact. Le Yautja qui était dessous devait certainement être en train de ricaner.
Harlock tira une deuxième fois. Il faisait confiance à la puissance du cosmodragon pour briser les illusions de suprématie du Yautja. Cette fois, des étincelles s’échappèrent du bouclier, et la silhouette du Yautja devint presque visible. Le camouflage perdait en efficacité.
Le capitaine tira une troisième fois, mais le tir se perdit dans les fougères. Harlock jura entre ses dents et commença à égrener mentalement les secondes.
C’était maintenant que se jouait la dernière manche. Son ennemi s’était mis à l’abri de sa ligne de visée, après avoir déterminé la direction des tirs et sûrement une approximation de sa position. Et le Yautja était un chasseur, donc il ne s’enfuirait pas.
Il rampait. Vers lui. Vers son piège. Harlock serra le détonateur dans son poing. Quelques secondes… Encore un peu… Maintenant !

L’explosion souleva une pluie de rocs et de terre.
Aussitôt après la détonation, un cri rauque se fit entendre. Ça ne ressemblait pas à un râle d’agonie, ce qui était un peu ennuyeux, mais qu’il s’agisse d’un juron ou d’un cri de guerre, cela signifiait que le Yautja avait cessé de sous-estimer sa proie.
Harlock dévoila ses dents en un sourire carnassier. Avec prudence, il se faufila entre les rochers en prenant soin de rester sous les fougères. Il était curieux de découvrir comment le Yautja avait encaissé son piège… Et il était curieux de savoir comment il allait résister à une autre explosion. Harlock ne s’était encore jamais servi de micro-charges comme grenades, mais il fallait un début à tout.
L’explosion avait creusé un cratère de près d’un mètre cinquante de profondeur. Le Yautja était accroupi sur le rebord et examinait les environs avec attention. Soudain, il se redressa. Harlock se figea. Debout, la créature mesurait bien deux mètres vingt, voire deux mètres trente. Son visage, dissimulé derrière un masque, laissait deviner sur sa partie inférieure une double paire de mandibules. Son crâne était couvert d’une tignasse noire tressée. À moins qu’il ne s’agisse de tentacules. Mais peu importait. Le corps du Yautja était intégralement protégé par une armure métallisée, mais Harlock observa un liquide vert aux reflets luisants s’écouler de son bras. Peut-être s’agissait-il d’un quelconque lubrifiant pour l’armure, le bouclier ou le dispositif de camouflage. Mieux, peut-être était-ce du sang.
Harlock pinça les lèvres. Dans le dos de la créature étaient attachées deux lames croisées, et à sa ceinture pendait ce que le capitaine pirate assimila à une arbalète laser. Harlock estima n’avoir aucune chance au corps à corps. Il fallait être dingue pour s’attaquer à un Yautja à la loyale, songea-t-il.
… mais il était toujours possible d’opter pour des méthodes plus vicieuses. Alors… Transformer une micro-charge en grenade. Trois étapes. C’était très facile, en fait. Dangereux, mais facile.
Un, ouvrir la charge.
Deux, court-circuiter le système de mise de feu en arrachant la pièce de contrôle.
Et trois…
Trois, tout était une question de rapidité. La bombe ainsi créée explosait aléatoirement dans les secondes suivantes.
Harlock la lança sans plus attendre sur le Yautja.
La créature émit une série de cliquetis juste avant d’être englobée par le souffle. « Mange-toi ça, connard », siffla Harlock. Le capitaine se garda cependant de crier victoire trop tôt. Il ne se réjouirait que lorsqu’il l’aurait vu mort, ce salopard.
Avec une détermination farouche, Harlock saisit son cosmodragon d’une main, son poignard de l’autre pour faire bonne mesure, et s’avança vers le dernier emplacement où il avait aperçu son adversaire. Il fallait être dingue pour s’attaquer à un Yautja, se répéta-t-il.

La grenade artisanale avait décapité les fougères sur une vingtaine de mètres. Il n’y avait aucun signe du Yautja.

— Montre-toi, Schweinehund ! cria Harlock. Finissons-en !

Il fallait être dingue.
La créature bondit soudain, surgissant d’un repli du terrain où elle s’était tapie. Harlock n’hésita pas : il tira au jugé. Un chargeur complet, à bout portant. Cinq coups de cosmodragon, une arme qui possédait une puissance de feu suffisante pour venir à bout d’un petit tank (Harlock avait déjà testé ce cas de figure).
Deux coups touchèrent le Yautja au niveau des hanches, un le manqua, et deux l’atteignirent à la poitrine. Cela ne suffit cependant pas à le stopper. Le Yautja tituba, mais parvint malgré tout à se maintenir debout. Emporté par son élan, il se jeta sur Harlock avant que celui-ci ne réussisse à recharger. Sous la violence du choc, le capitaine tomba sur le dos. La poigne du Yautja lui broya le bras, l’obligeant à lâcher son cosmodragon.
Dans un sursaut désespéré, Harlock se débattit à coups de coudes et de genoux, se libéra sans trop savoir comment, roula sur le côté et se rétablit hors de portée du Yautja… et, hélas, hors de portée de son cosmodragon également.
Restait le poignard. Et l’espoir irraisonné d’atteindre un point vital du premier coup. Le cœur ? Harlock ignorait où il se situait, si toutefois les Yautjas possédaient un tel organe. La gorge ? Quel que soit son choix, il n’aurait pas de seconde chance.
Son adversaire était toujours au sol. Lame en avant, Harlock se lança au contact et s’aida de tout son poids pour enfoncer son poignard dans un interstice entre l’armure et le masque. L’espace n’était dégagé que sur un demi-centimètre. S’il visait mal, si la lame glissait sur l’armure, c’en était fini.
Le Yautja réagit avec un temps de retard. Peut-être à cause de ses blessures, ou peut-être était-il surpris d’autant de combativité. Harlock n’en avait cure. Il s’acharna, s’employant à enfoncer le poignard jusqu’à la garde, fourrageant à l’intérieur des chairs dans l’espoir de trancher une artère.

Le Yautja n’avait cependant pas dit son dernier mot. Avec une force étonnante pour quelqu’un qui avait une lame de vingt centimètres plantée dans la gorge, il repoussa Harlock en arrière d’un revers du bras.
Le souffle coupé, le capitaine serra les dents pour surmonter une violente douleur à la poitrine (côtes cassées, à n’en pas douter), et déplia la seule arme encore en sa possession : son couteau de poche. En face, le Yautja se redressa de toute sa taille et brandit une épée longue comme le bras. Avec un opinel ça allait être un peu tendu, songea Harlock tandis qu’il évaluait la meilleure approche pour frapper sans se faire embrocher.
Le capitaine recula d’un pas. Il l’avait touché, ce maudit Yautja, non ? Et s’il se contentait d’attendre qu’il se vide de son sang ?
La créature ne semblait toutefois pas décidée à mourir. Elle produisit un son crissant, qui était peut-être un rire ou peut-être une bordée d’insultes, et effectua une série de moulinets avec son épée. Harlock se raidit sur ses appuis, prêt à encaisser ce qui était bien parti pour être la dernière attaque, quand une intervention inattendue stoppa net le manège du Yautja.
C’était un lama.
Il y avait décidément beaucoup trop de lamas dans ces montagnes. Celui-ci était plus petit que ses congénères, blanc, avec des frisottis derrière les oreilles. Inconscient du danger (peut-être avait-il besoin de compagnie), il s’interposa entre Harlock et le Yautja.
Qui réagit comme le guerrier chasseur qu’il était.
D’un mouvement circulaire parfait, le Yautja abattit son épée sur le lama.
… Une lame à plasma. Dans une traînée rougeoyante, elle traversa les poils, les chairs, les os, le harnais de cuir… et deux des caisses de Tochiro. Lesquelles contenaient, pour la plupart, du matériel inerte (armes, pièces de rechanges, électronique renforcée, bricoles métalliques indéfinissables), et pour certaines des substances beaucoup moins stables. De toute évidence, Tochiro avait encore joué au petit chimiste, constata Harlock en se jetant au sol. De « simples » munitions n’étaient pas censées exploser ainsi.
Avec un « schluuurp » bizarre, une boule de feu engloutit le lama, le Yautja, roussit la végétation et inonda la montagne d’une lueur aveuglante.
Il était trop près, songea Harlock tandis qu’il s’aplatissait le plus possible. Il allait y rester. Le souffle incandescent lui balaya le dos. Il s’attendait à sentir la morsure de la brûlure, à s’enflammer peut-être et à subir les affres d’être rôti vivant, mais autour de lui les débuts d’incendie s’étouffèrent dans un « pfft » grésillant. L’humidité omniprésente avait eu raison du feu.

Harlock resta immobile de longues minutes durant sans oser croire à sa chance. Finalement, il se releva et, encore chancelant, se passa la main dans les cheveux d’un geste machinal. Il en ramena de la boue séchée (beaucoup), des bouts de fougère noircis qui s’effritèrent sous ses doigts, des cendres et une mèche de cheveux à moitié consumée. Il ne devait pas s’en être sorti indemne, déduisit-il alors qu’il se déhanchait pour voir son dos, mais le fait qu’il soit intégralement couvert de boue (et trempé) l’avait apparemment protégé du plus gros du souffle.
Le Yautja n’avait pas eu cette chance : son corps désarticulé gisait à la renverse sur le sol. Quant au lama… Harlock aperçut un bout de bride, quelques poils et des morceaux non identifiables épars. Il préféra ne pas pousser ses investigations plus avant et eut une rapide pensée pour la pauvre bête qui devait avoir rejoint le paradis des lamas avant d’avoir compris ce qui lui arrivait.
Son cosmodragon était intact, en revanche (Tochiro construisait de la qualité). Harlock ramassa l’arme, à peine recouverte d’une couche de suie, avant de s’approcher avec prudence du Yautja. Le capitaine toucha le corps du bout de la botte. La créature avait l’air morte, mais deux précautions valaient mieux qu’une. Un tir de cosmodragon entre les deux yeux régla la question.

Maintenant débarrassé de son problème de Yautja, le capitaine fut saisi d’un vertige. Ah, il semblait que le contrecoup du stress du combat le rattrapait. Et puis peut-être était-il un peu blessé, aussi. Sans parler du fait qu’il n’avait rien mangé depuis la veille.
Il se força néanmoins à rejoindre le lama qui lui avait servi de leurre. L’animal grogna lorsqu’il le détacha (a priori, il était davantage contrarié par l’interruption de son déjeuner que par tout le bordel précédent). Harlock le fixa d’un air absent. Pourquoi était-il là, déjà ? Il secoua la tête. Il avait du mal à se concentrer, tout à coup.
Il pensa à l’Arcadia. Il n’allait pas échapper à l’infirmerie quand il rentrerait, se dit-il en souriant intérieurement. Et il était bon pour devoir supporter une engueulade du doc.
Il songea ensuite qu’il fallait déjà qu’il rentre sur l’Arcadia. Quelqu’un était-il en train de le chercher, au moins, ou bien son équipage le considérait-il déjà comme mort ?
Harlock se massa les tempes pour s’éclaircir les idées. Les arbres alentours se fondaient peu à peu dans une masse uniforme grisâtre. De deux choses l’une : soit le brouillard tombait, soit son corps le lâchait. Dans les deux cas, ce n’était pas bon signe.

— Dis donc sale bête, tu n’aurais pas envie de me ramener à la maison ? souffla Harlock.

Il se demanda distraitement s’il ne pourrait pas monter à califourchon sur cette bestiole et se laisser porter, mais renonça lorsque l’animal, visiblement agacé, le bouscula pour s’écarter. Une tentative maladroite pour récupérer la bride du licol n’aboutit qu’à un échec cuisant : à vrai dire, cette sale bête lui cracha dessus, mais il était désormais trop fatigué pour s’en offusquer.

À bout de forces, Harlock se laissa tomber à genoux. Okay, pause. Tandis qu’il fixait sans vraiment les voir les nuages gorgés de pluie, la végétation gorgée d’humidité et les cascades ruisselantes qui dégoulinaient sur la terre gorgée d’eau, il se dit qu’il n’était éloigné des secours que par un jour et demi de marche. Et à part une côte ou deux, il n’avait rien de cassé.
Il inspira profondément, sonda ses poches et avala machinalement la demi-barre de ration qui s’y trouvait. Un, prendre des forces. Deux, de l’eau (ça c’était bon, il ne risquait pas d’en manquer). Et trois…
Harlock jeta un coup d’œil mauvais au lama. Trois, cette sale bête allait le tirer de là, qu’elle le veuille ou non.
L’Arcadia n’était pas si loin.
Il allait y arriver.


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