Fleurs fanées












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Ces oiseaux qui ont quitté le nid


… Il ne l’avait pas reconnue. Ses yeux brillaient d’une volonté farouche, et ses cheveux sombres coupés au carré étaient en bataille. Elle avait tressé une de ses mèches et attaché à l’extrémité un colifichet représentant l’emblème des pirates.
Elle voulait embarquer. Elle avait accosté un de ses hommes dans un bar et l’avait tanné jusqu’à ce qu’il accepte de la conduire à son vaisseau. Puis elle s’était plantée devant la porte des quartiers du capitaine et avait attendu qu’il veuille bien la recevoir. Il avait tenu jusqu’au lendemain matin. Elle s’était engouffrée dans son bureau au moment où il avait déverrouillé la porte pour aller grignoter un morceau aux cuisines. Il l’avait tout de même encore fait poirauter quelques minutes le temps qu’il avale son café.
Elle se tint coite devant lui, en un simili garde-à-vous, mais avec l’air buté de qui ne bougera pas à moins d’utiliser un  palan.
Il grogna. Sa jambe droite le faisait souffrir – une blessure qui cicatrisait mal. Il refusait de se l’avouer mais il récupérait bien moins vite qu’auparavant – sans compter que ses réflexes s’émoussaient avec le temps : jamais il n’aurait pu être touché de cette manière, il y a quelques années.
Il la trouvait trop jeune. Il le lui fit savoir. Elle rétorqua qu’à dix ans, elle avait finalement compris que l’orphelinat qui l’hébergeait depuis sa naissance n’était rien de plus qu’une prison. Qu’elle s’était enfuie. Qu’elle avait rapidement perdu sa naïveté dans la jungle urbaine. Qu’elle avait vécu ainsi, entre les squats, les gangs, les vols et les petits boulots au noir, pendant une quinzaine d’années. Et qu’elle avait déjà servi sur deux autres navires avant de réussir à rejoindre celui-ci.
Elle le transperça de ses yeux bleu acier lorsqu’il haussa un sourcil sceptique, et il sut qu’elle disait la vérité. Cette fille avait du caractère. Il songea qu’il y avait longtemps qu’il n’avait pas croisé quelqu’un comme elle. Si entêtée. Dépensant autant d’énergie pour atteindre ses objectifs. Si froide.
Elle était trop jeune. Elle avait l’âge d’entrer à la fac, de s’intéresser aux gadgets technologiques à la mode, au dernier groupe de musique en vogue et aux play-boys sportifs de l’université avec ses copines. Et il vit à l’expression de son regard qu’il était de toute façon trop tard pour elle. Elle avait trop vite grandi sans profiter de son enfance.
Il se souvint avoir vécu la même chose.
Il céda.

— Bon, très bien. J'accepte de t’inscrire sur la liste de l’équipage. Mais à l’essai, et uniquement pour cette traversée. Je mets quel nom ?
— Oyama. Mayu Oyama.


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