Cosmowarrior | ||
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Un officier si prometteur Acte deux — … Et maintenant ? L’espace d’un instant, Warrius fut tenté de répondre « débrouille-toi bordel, tu es un pirate redoutable ou non ? », mais il se retint : Harlock risquait de le prendre au mot. Pour ce que Zero connaissait de l’historique d’évasions du capitaine pirate, cela signifiait une série d’actions violentes, des soldats massacrés par grappes, un tas d’explosions et, à coup sûr, une prise d’otage. Étant donné que l’officier terrien était seul avec le pirate, cela faisait donc de lui le candidat idéal pour le rôle de l’otage et il était moyennement emballé par la perspective. — Maintenant, phase deux, répondit-il donc avant qu’Harlock ne s’aperçoive qu’il était tout à fait en mesure de prendre le contrôle des événements. C’est la phase où tu utilises le terminal informatique de cette salle de briefing pour écrire ton algorithme, et où ta commande déclenche la mise en application d’un programme pirate que Tochiro a fourbement introduit dans les serveurs. Harlock leva un sourcil dubitatif. — Si c’est le cas, tu possèdes des informations que je n’ai pas. Je doute fort que Tochiro ait eu le temps de pénétrer le réseau informatique de ce bagne en si peu de temps. Le pirate haussa les épaules. — Ça ne fait même pas vingt-quatre heures que je suis arrivé, après tout, conclut-il. — Tochiro est un génie, c’est bien connu, rétorqua Zero. Warrius balaya d’autres objections d’un geste. — … Mais peu importe. Tochiro est ma couverture, okay ? C’est Rai qui a préparé le programme, et je ne l’ai pas encore injecté. Le sourcil d’Harlock se leva un peu plus haut. — Tu as demandé à un de tes hommes de créer un virus informatique pour pirater les serveurs d’une prison ? — Il se peut que j’aie oublié de mentionner à quoi son travail allait servir, mais ça me regarde. Contente-toi de t’asseoir devant cet ordinateur et de taper tes lignes de codes, je m’occupe du reste. — C’est le plan le plus compliqué que j’ai jamais vu, ricana Harlock. Tu ne peux pas tout simplement sortir ton arme et dézinguer les deux gardes dehors ? — Alors tout d’abord, tu ne critiques pas mon plan. Ensuite, je ne sais pas si tu as remarqué mais la condition sine qua non pour t’approcher et discuter avec toi, c’est d’être désarmé. Et enfin, il est hors de question que je me mette à tuer des gens pour te faire évader. Contrairement à toi, j’ai encore un bel avenir dans l’armée, figure-toi. — Mouais… Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas sûr que ça dure encore longtemps. — Mais si, j’en ai bien l’intention ! Zero désigna l’ordinateur d’un doigt catégorique. — Maintenant, tu t’assois et tu tapes. Et pas n’importe quoi, je te prie. Harlock finit par obtempérer avec un « pff » dédaigneux. — Tu vois, quand tu fais un effort ! railla Zero. Tu arrives presque à travailler sous les ordres d’un supérieur ! Harlock répondit « grmf » et aligna une douzaine de lignes de code avant de se tourner vers le miliaire. — Ça ne serait pas à ton tour ? J’aimerais bien ne pas devoir écrire tout cet algorithme, pour être franc. Il appartient à Tochiro et il pourrait m’en vouloir de le rendre public comme ça. — Oh, sois pas une chochotte et fais-moi un peu confiance. — Je ne fais que ça depuis le début, grommela Harlock. Pour l’instant, je ne suis pas tellement convaincu par les résultats. — Saint Thomas, hmm ? Ça va marcher, ne t’inquiète pas. Mais ça demande du doigté et de la patience, alors arrête de râler. Et continue à taper. Zero estimait que le terminal comportait un mouchard et que les « révélations » informatiques d’Harlock étaient aussitôt enregistrées ailleurs. Il attendit donc encore une autre douzaine de lignes pour que personne ne puisse mettre en doute le fait qu’il avait persuadé le pirate de coopérer, puis il glissa dans le lecteur de l’ordinateur une carte magnétique spécialement traitée pour ne pas être détectée (la base pour tout hacker qui se respecte, Rai lui avait obligeamment montré la veille comment procéder… à titre d’information, bien sûr). Il ne se produisit absolument rien pendant les dix secondes suivantes et Harlock se préparait visiblement à un sarcasme, lorsque l’unité centrale se mit soudain à cracher de la fumée. — Dis donc, c’était ce qui était prévu ou ton virus est en train de faire des siennes ? interrogea le pirate d’un ton qui hésitait entre l’amusement et la consternation. — C’était ce qui était prévu, confirma Zero avec calme. Faire disjoncter un maximum de composants pour générer beaucoup de fumée quasi instantanément. — Et c’est tout ? Comment veux-tu… À ce moment, l’ordinateur explosa. Harlock s’écarta à temps pour éviter qu’une moitié d’écran ne l’éborgne tandis que la pièce se remplissait aussitôt d’une fumée opaque. Simultanément, toutes les alarmes de la prison retentirent de concert. Zero serra les mâchoires : il ne disposait plus que d’une poignée de secondes pour agir – le temps que mettraient les gardes dehors pour ouvrir la porte sécurisée. L’officier saisit Harlock par l’épaule. — Vite ! Tasse-toi là-dedans ! ordonna-t-il en poussant le pirate vers la malle rangée dans un coin de la salle. — Quoi ? Mais… — Discute pas, putain ! La malle était vide. Un ingénieux dispositif (« un dérivé des boucliers de camouflage sur les parois internes, commandant. Imparable ») faisait croire à quiconque la scannait qu’elle était emplie d’uniformes, de documents et de toutes les affaires qu’un commandant en mission se devait d’emporter avec lui. En réalité, sa taille avait surtout été soigneusement étudiée pour qu’on puisse y ranger un pirate en le pliant bien. Zero referma le couvercle d’un coup sec sans se soucier des protestations ni du « aouch » étouffé d’Harlock. Le timing était bien trop serré pour hésiter. Combien de temps s’était-il écoulé ? Moins de cinq secondes, probablement. La fumée était à présent si épaisse qu’il ne distinguait plus ses propres pieds. Les volutes âcres lui irritaient les yeux et la gorge au point qu’il ne pouvait se retenir de tousser. Warrius pria brièvement pour qu’Harlock ne s’asphyxie pas dans sa malle (ou pire, qu’il se mette à tousser lui aussi, ce qui aurait réduit tous ses efforts à néant) tandis qu’un cliquetis caractéristique l’informait que la porte venait d’être déverrouillée. — Commandant ! Vous êtes blessé ? — Je suis là ! répondit-il. Prenez garde au pirate ! L’avertissement avait pour but de forcer les deux gardes à commettre une erreur – en l’occurrence, entrer ensemble dans la pièce. Et si ce n’était pas le cas et que l’un d’entre eux restait en couverture à l’extérieur, eh bien… il suffirait de faire preuve de davantage de mauvaise foi, songea Zero alors qu’il était entraîné, toussant et larmoyant, vers le couloir. — Commandant ? Vous allez bien ? Plié en deux, cherchant à reprendre son souffle, Zero repoussa la main tendue du garde avec rudesse. De la mauvaise foi. C’était la clé. De la mauvaise foi, de l’autorité et de l’inflexibilité. — Ne vous écartez pas de la porte, imbéciles ! La pirate va en profiter ! — Je n’ai pas bougé, commandant, crut bon de se justifier l’un des deux gardes. Zero se redressa de toute sa taille et toisa le malheureux soldat d’un regard méprisant. De la mauvaise foi. Beaucoup de mauvaise foi. — Vous n’avez pas bougé ? Incapable ! Avec toute la fumée qui est sorti par cette porte, une bonne dizaine de criminels auraient pu vous passer sous les yeux sans que vous ne remarquiez rien ! — Mais… — Harlock est probablement déjà loin, poursuivit Zero d’un ton qui n’admettait pas de contradiction. Il faut immédiatement bloquer tous les accès ! Les deux soldats se raidirent au garde-à-vous. Excellent. C’était l’effet que Zero recherchait : trop occupés à lui obéir, ils ne chercheraient pas à remettre en cause sa version des faits. Entre-temps, le dispositif anti-incendie automatique du bagne s’était mis à l’œuvre, et toute trace de fumée fut bientôt évacuée (en moins de deux minutes, conformément aux normes de sécurité). La visibilité rétablie, l’affirmation de Zero ne pouvait qu’être corroborée : la salle de briefing B22 était vide. — Qu’est-ce que vous attendez ? cria-t-il. Que je me lance moi-même à sa poursuite pour pallier votre incompétence ? Rendez-vous au point de contrôle de la zone Bravo et mettez-vous à disposition du gradé responsable ! Nous allons avoir besoin de tous les hommes disponibles ! Warrius était très fier de son numéro d’officier intransigeant (Marina quand elle était en colère était un bon exemple… même s’il ne lui avouerait jamais). Au vu de l’empressement des soldats à déguerpir, il semblait qu’il avait été convaincant. Restait à faire de même avec leur état-major. Il avisa la console com la plus proche et ouvrit un canal sur la fréquence d’urgence. — Ici le commandant Zero, se présenta-t-il. Le pirate a échappé à la vigilance des gardes et cherche probablement à rejoindre l’extérieur. Je pense qu’il utilisera de préférence les conduits d’aération ou les coursives techniques, à moins qu’il ne se cache en attendant d’être récupéré par son vaisseau. Zero ne laissa pas le temps à son interlocuteur de formuler la moindre critique à son encontre. — À mon avis, enchaîna-t-il aussitôt, le Death Shadow croise quelque part à proximité. Je retourne dès à présent sur le Karyu afin de le traquer et de vous affranchir d’une attaque qui apparaît plus que certaine. Il attendit deux ou trois secondes, puis poursuivit : — Vous m’avez reçu ? Il était important qu’il soit reçu – ou pour être plus précis, il était important qu’il soit enregistré. Tout ceci contribuerait à son alibi « moi je n’y suis pour rien et d’ailleurs j’ai tout fait pour rattraper la situation, mais par contre vos soldats ont échoué dans leur mission ». Bien sûr, c’était dommage pour les pauvres gars qui écoperaient sûrement d’une mise à pied, mais zut. — Bien reçu, commandant. La voix n’était pas identifiable. Tant pis. Il aurait préféré entendre le commandant du bagne en personne, mais ce n’était pas le moment de faire la fine bouche. — Zero terminé. Il devait avoir quitté Terra Ultima avant que quelqu’un ne commence à se poser trop de questions. Comment Harlock avait-il fait pour s’évader d’une pièce où il se trouvait seul avec Zero, pourquoi personne ne l’avait aperçu lorsqu’il s’était enfui, et pourquoi Zero avait-il ressenti le besoin d’interrompre sa patrouille pour venir ici, au juste ? Warrius se raidit et réajusta nerveusement sa veste d’uniforme. Bon. Phase trois. D’un pas sûr et en vérifiant sans cesse qu’il n’était pas en train de jeter des coups d’œil inquiets autour de lui, l’officier terrien récupéra sa malle dans la salle de briefing, puis prit la direction de l’astroport attenant au bagne et sur lequel il avait laissé sa navette. La phase trois consistait donc à franchir tous les points de contrôle jusqu’au dock d’embarquement. Avec sa malle. Qui était sensiblement plus lourde qu’à l’aller, mais le dispositif d’antigravité fonctionnait parfaitement. Zero n’en menait pas large tandis qu’il écartait quiconque sur son chemin d’un « faites place ! » sans équivoque. Seul un sergent se risqua à le questionner. — Je me charge du Death Shadow, sergent, rétorqua sèchement Zero. Plus vite je serai là-haut, moins vous risquerez d’être bombardés. Souhaitez-vous que je réfère de votre obstruction à vos supérieurs ? L’autre n’insista pas. Personne ne l’interrogea à propos de la malle. A priori, il était tout à fait normal qu’un commandant de la flotte indépendante terrienne se balade avec une malle dans une prison. Ou alors l’idée même qu’un commandant de la flotte indépendante terrienne ait pu dissimuler un pirate dans une malle était tellement extravagante que nul n’osait l’envisager. Warrius avait d’ailleurs du mal à y croire lui-même. Toujours est-il que lui et sa malle atteignirent la navette du Karyu sans encombre et décollèrent en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « évasion ». Zero attendit toutefois d’avoir quitté l’atmosphère et contacté Ishikura (« Mission terminée, je rentre ») avant de déverrouiller les loquets de la malle pour en libérer son occupant. Lequel se déplia dans un grognement furieux. — Bordel Zero, tu es au courant que j’ai failli mourir étouffé dans ce… Putain, on est dehors ? — Correct, répondit Warrius sans se laisser déconcentrer de son pilotage. Je comprends que tu doutais de moi ? Harlock se glissa jusqu’au siège du copilote et lui adressa un regard contrit (du moins, ce qui se rapprochait le plus d’un regard contrit chez ce foutu pirate, c’est-à-dire quelque chose qui se voulait contrit alors qu’en fait non pas du tout). — Il faut reconnaître que tes intentions n’ont jamais été très claires. — Tu doutais de moi, insista Zero. De moi et de mon plan génial, minutieusement élaboré et parfaitement exécuté. — Tu viens de me faire évader dans une valise, corrigea Harlock. C’est le plan le plus stupide auquel j’ai jamais participé. Le pirate se fendit d’un grand sourire. — J’adore ça. On recommence ? |
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