Des jours ordinaires | ||
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Chocolarcadia
Pour une poignée de chocolat
Disclaimers
: le pirate appartient à M. Matsumoto. Son addiction, non (et
heureusement. Où irait-on, sinon ?), et le barman non plus. Par
ailleurs, ce qui se mange est à Lindt.
Repères chronologiques : plutôt Albator 84, mais après les histoires avec l'ours en peluche et avec les gaufres. Tout en sachant que la cuisinière, Miss Masu, est déjà à bord. Notes de l'auteur : d'accord, j'avoue. J'avais envie de quelque chose de léger et humoristique, parce que j'ai tendance à déprimer quand j'écris 'Illusions' (le captain post Albator 78 n'est pas très drôle). Ce qui suit est donc le premier d'une série de petits textes légers et humoristiques, lesquels tournent tous plus ou moins autour du même sujet et qui, je le crains, ont une nette tendance à devenir n'importe quoi sur la fin. Mais bon, ça détend. Ça donne faim, aussi. o-o-o-o-o-o
Le « Metal Bloody Saloon » nouvellement ouvert sur cette planète se situait au fond d'une ruelle sordide. L'entrée en était presque invisible, en bas d'une volée de marches qui donnaient sur une porte en bois miteuse. L'établissement n'avait cependant pas besoin de publicité : le barman, son propriétaire, disposait d'une solide réputation et d'un réseau étendu. Un exploit pour un Octodian, mais le barman avait décidé des années auparavant de ne pas s'enfermer dans les stéréotypes de son espèce. C'était le lieu idéal pour se retrouver en toute discrétion (nombre de clients étaient d'ailleurs activement recherchés par la police). Le barman était néanmoins d'avis que ces gens avaient eux aussi le droit de se détendre autour d'un verre – enfin, tant qu'ils le payaient, évidemment. La soirée débutait à peine. Le bar était encore calme, mais la plupart des tables étaient déjà occupées par une population hétéroclite, humaine ou non, l'air épuisé après une rude journée de travail. Ou de larcins, même si le barman préférait ne pas le savoir. Derrière son comptoir, l'Octodian fit le tour de la salle d'un regard suspicieux. Un homme posa précipitamment quelques pièces sur le plateau de la serveuse qui lui faisait face lorsque le barman fronça les sourcils dans sa direction (un habitué du « tu m'fais crédit, poupée, et ce soir je t'envoie au septième ciel »), hormis cela aucun des clients présents ne semblait de nature à lui poser problème aujourd'hui. À l'exception des deux hommes attablés au fond de la salle, bien entendu. — Non, c'est hors de question, disait le plus maigre, le plus grand, le plus menaçant et le plus habillé en noir (et qui était aussi celui que le barman connaissait). Je ne vous donnerai pas un sou de plus pour vos cristaux de navigation. — Le prix que vous avez annoncé est tout simplement scandaleux ! couinait l'autre, un homme replet dont le visage transpirait la peur. À ce compte-là, je n'ai plus qu'à mettre la clé sous la porte ! Le barman sourit à part lui. Le capitaine Harlock avait une façon toute particulière de mener des négociations commerciales. En règle générale, il arrivait avec une somme d'argent précise et repartait avec du matériel dont la valeur était à peu près deux fois supérieure à ce qu'il avait payé. Le barman s'était d'ailleurs toujours demandé pourquoi Harlock s'embêtait à payer alors qu'il s'arrangeait systématiquement pour traumatiser ses fournisseurs à un point tel qu'ils étaient prêts à le livrer gratis. Probablement pour se donner bonne conscience. Après tout, il était bien indiqué « piraterie » sur les avis de recherche le concernant, et le barman savait de source sûre que le capitaine arraisonnait et pillait les cargos spatiaux plus souvent qu'il ne venait faire les boutiques sur une quelconque planète. En tout cas, il était clair qu'il se comportait avec son interlocuteur de la même manière qu'avec n'importe quel commandant de vaisseau qu'il abordait. Son expression était d'ailleurs éloquente : si le commerçant n'abondait pas dans son sens, il risquait à court terme de sérieux ennuis. Du genre perdre la vie, par exemple. Il était clair aussi que l'homme en était tout à fait conscient. — Oh, allons, reprenait Harlock d'un air dédaigneux. D'après mon contact, vous êtes le fournisseur le plus prospère de cette planète minable. Je suis sûr que vous avez d'autres pigeons à plumer pour vous enrichir. Le barman tiqua. D'une part parce que c'était lui, le contact en question, et d'autre part parce qu'il n'appréciait pas la façon dont Harlock méprisait son interlocuteur et la planète sur laquelle il avait jeté son dévolu pour se ravitailler. — Je veux bien faire un effort commercial, mais je refuse de vendre à perte ! se défendit faiblement le commerçant. — Ah oui ? Vous ne me ferez pas croire que vous ne faites pas de bénéfice avec la somme que je vous propose ! Harlock se leva à demi, les deux mains plaqués sur la table, et il darda son œil unique sur le commerçant, le défiant de le contredire. Le barman soupira. Il aimait bien le gamin, mais parfois il pouvait vraiment être de mauvaise foi. En l'occurrence et avec l'argent actuellement posé sur la table, il s'agissait effectivement d'une vente à perte. La somme avancée pouvait à la rigueur convenir pour acheter deux ou trois cristaux de navigation d'occasion, mais le barman savait d'expérience que, vu la taille de son vaisseau, le capitaine en avait besoin de beaucoup plus. Enfin, il fallait se faire une raison, Harlock était un pirate, et les pirates n'étaient pas des experts en négociation. Ils se contentaient de prendre ce qu'ils estimaient leur revenir de droit. De son côté, le barman n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer le commerçant en personne, mais il avait déjà fait affaire avec lui à de nombreuses reprises pour renflouer sa cave en spiritueux rares. Le gars pouvait vendre à peu près tout et sa marchandise était de qualité. Et il était honnête, ce qui était relativement rare dans le coin. En conséquence et malgré toute l'amitié qu'il portait à Harlock, il n'allait pas le laisser dépouiller cet homme sans réagir. Il était donc temps d'intervenir. — Je te remercie de proposer de payer plutôt que de te lancer dans un pillage en règle, gamin, mais je te suggère quand même de te tenir au courant des prix du marché si tu veux rester crédible. Le barman observa d'un œil intéressé le commerçant se mettre à gargouiller tout en se colorant d'une teinte verdâtre amusante, tandis que le capitaine pirate passait par toute une gamme d'expressions allant de l'agacement à l'ennui, sans oublier la colère et l'envie de meurtre. Finalement, Harlock choisit de se pincer l'arête du nez et inspira profondément, ce qui était en définitive mieux que de dégainer et tuer quelqu'un pour se défouler. — Bob, ne m'appelle pas gamin quand je suis au milieu de tractations délicates, lâcha-t-il. — Délicates ? Ne me fais pas rire, gamin. À part tester ta capacité à terroriser le monde, je ne vois pas trop ce qu'il y a de délicat là-dedans. Harlock émit un « hrmf » de mauvais augure. Le barman ne se départit pas de son sourire confiant (il n'avait pas encore prononcé suffisamment de fois le mot « gamin » pour énerver le pirate), mais il n'avait pas non plus envie d'en venir à l'affrontement. Il était peut-être plus grand, physiquement plus fort et avec plus de bras qu'un humain moyen, il savait n'avoir aucune chance contre un tir de cosmodragon bien placé. En revanche, il possédait un avantage non négligeable par rapport à tous les inconscients qui osaient s'opposer à Harlock : il estimait mieux connaître les faiblesses de ce foutu pirate. L'Octodian continua à sourire. Il avait bien fait de se renseigner sur les stocks de marchandises proposées avant d'envoyer ce pauvre homme dans les griffes d'Harlock. C'était le moment d'être subtil. … Ou pas, en fait. C'était plutôt le moment d'être vicieux. Le sourire du barman se teinta de perfidie. — Monsieur Trueman, reprit-il d'un ton neutre et comme si Harlock n'existait plus, en attendant de résoudre votre affaire de cristaux, accepteriez-vous que nous réglions notre petite commande ? Le commerçant s'illumina, heureux de pouvoir dialoguer avec quelqu'un d'autre qu'un psychopathe en puissance. — Oh, bien sûr ! J'ai tout apporté avec moi. Vous voulez voir ? Le barman opina. D'un geste vif et sous le regard interloqué d'Harlock, Trueman ouvrit alors sa valise et en sortit quatre paquets emballés chacun dans une feuille d'aluminium. — Voilà. Comme convenu, vous avez une plaque « noir soixante-dix pour cent », une plaque « noir intense quatre-vingt-cinq » et deux « noir absolu quatre-vingt-dix-neuf ». — C'est parfait. De l'autre côté de la table, Harlock avait les yeux écarquillés. — Euh… Bob ? C'est quoi, ça ? demanda le pirate en pointant les paquets. — Ça mon garçon, c'est une extase gustative en perspective, répondit l'Octodian. Avec des précautions exagérées, il ouvrit un paquet estampillé « noir quatre-vingt-dix-neuf ». À l'intérieur se trouvait une tablette de chocolat noir. Du chocolat à quatre-vingt-dix-neuf pour cent de cacao. En réalité, le barman n'aimait pas le chocolat. Surtout aussi fort. Trop amer, de son point de vue. Cependant, certains évènements récents (impliquant notamment une évasion de prison et un collier de coquillages) l'avaient laissé croire que quelqu'un d'autre à cette table n'était pas du même avis. Bon, c'était un pari risqué, il devait l'admettre. Malgré une enquête minutieuse, le barman n'avait jamais pu étayer son hypothèse. Le capitaine Harlock avait un faible pour le brandy d'Andromède, c'était un fait acquis de longue date, mais il fallait croire qu'il réclamait rarement du chocolat devant témoins. — Et bien, il a l'air excellent, déclara le barman après avoir humé la tablette de chocolat. — Et, euh… C'est du vrai ? intervint Harlock d'une voix qui se voulait ferme, mais dans laquelle perçait tout de même une pointe d'incertitude. — Oh, oui. Aucun doute là-dessus. Pour tout avouer, les arômes de chocolat étaient plus que tentants. Le barman hésita, puis il songea que zut, c'était son chocolat après tout, il avait bien le droit de le goûter, aussi cassa-t-il un coin de la tablette et laissa-t-il fondre un petit morceau de chocolat sous sa langue. Ah, Trueman vendait de la qualité, c'était certain. Il avait bien fait de lui faire confiance. Il fallait également qu'il reconsidère son opinion selon laquelle « le chocolat noir est trop fort et trop amer ». L'Octodian hocha la tête de satisfaction. Harlock quant à lui se mordit la lèvre inférieure avant de cligner des yeux et de reprendre un masque impénétrable. Le contrôle de la situation lui échappait, et le pirate s'en rendait parfaitement compte. — Hum… Je… Le barman croisa posément une paire de mains sous son menton. — Oui, gamin ? Le pirate ne releva pas le qualificatif, ce qui convainquit l'Octodian que son hypothèse de départ était juste. « Je vais le faire craquer avec du chocolat », songea-t-il avec fierté. En plus du fait qu'il était un des seuls à pouvoir l'appeler gamin sans se faire descendre aussitôt, voilà qui allait ajouter une aura supplémentaire à sa biographie. De son côté, Harlock était de toute évidence en proie à un dilemme douloureux. Question de réputation, à n'en pas douter. Le capitaine pirate finit par secouer la tête avec une moue de dépit. — Okay, lâcha-t-il. Tu avais prévu ça, n'est-ce pas ? — Quoi donc ? demanda innocemment le barman. — Ne joue pas avec moi ! s'énerva Harlock. Je sais que ce n'est pas une coïncidence ! Le barman se contenta de ricaner. Harlock le fixa une poignée de secondes dans l'espoir futile qu'il avoue (mais l'Octodian n'allait pas lui faire ce plaisir, du moins pas tout de suite), puis soupira. — Très bien. Combien pour les tablettes en plus des cristaux de navigation ? demanda-t-il à un Trueman qui tentait de se faire oublier. — Eh ! J'ai déjà acheté ce chocolat ! précisa le barman. C'est avec moi que tu dois négocier, à présent. Le pirate le foudroya du regard. — Tu l'avais prévu, répéta-t-il. — Oui, en effet, admit Bob avec un large sourire. Je ne pouvais pas accepter que tu mettes sur la paille un honnête commerçant. — Pff. Je ne crois pas qu'il aurait fait faillite pour neuf cristaux, grommela Harlock. Il pinça les lèvres. — Alors ? grogna-t-il. Quel est le prix ? — Pour les cristaux, ce sera au prix du marché, déclara le barman d'un ton sentencieux. … Faut que t'apprennes que ce n'est pas bien de voler les gens, gamin, ajouta-t-il plus bas. Harlock croisa les bras et adopta une expression qui signifiait « je suis un pirate et j'assume ». — Ouais… Ça, je m'en doutais, grogna-t-il. Ce que je voulais, c'était ton prix pour que tu me cèdes tes tablettes de chocolat. Le capitaine marqua un temps d'hésitation. — D'ailleurs, tu ne me feras pas croire que tu aimes le chocolat, finit-il. Le barman répondit d'un geste vague de la main qui pouvait à la fois être une approbation ou une dénégation, puis il se tapota pensivement les lèvres d'un doigt. — Mmh… Voyons… Il me semble que tu possèdes dans tes soutes un stock conséquent de rhum dorien. Je vais prendre ça. — Quoi ? protesta Harlock. Cinq caisses de rhum contre du chocolat ? Mais c'est de l'extorsion ! — Nan. Ce sont les affaires. Et soit dit en passant c'est exactement ce que tu étais en train de faire avec Monsieur Trueman avant que je n'arrive. Le capitaine leva les mains en signe de capitulation. — Très bien. D'accord, céda-t-il avec une moue agacée. Je t'envoie ça demain dans la matinée. … et j'apporterai le reste de la somme pour les cristaux, termina-t-il à l'intention de Trueman. Bon sang, pensa l'Octodian, son plan machiavélique avait fonctionné. Du premier coup. Sans qu'Harlock ne cherche à argumenter. Et avec du chocolat. C'était… complètement surréaliste. Harlock profita de l'absence de réponse – de Trueman comme du barman – pour saisir les tablettes de chocolat (non sans avoir jeté un regard furieux vers le barman). Puis il les toisa tous les deux, lentement, l'un après l'autre. Trueman se tassa sur son siège, l'air apeuré. Bob, au contraire, sourit de toutes ses dents au pirate – tout simplement parce qu'il connaissait déjà la nature de la prochaine question d'Harlock. Une affaire rondement menée, songea l'Octodian. Le genre d'affaire qui n'avait pas intérêt à s'ébruiter. Après tout, on ne pouvait pas se prétendre pirate sanguinaire et accepter n'importe quelle condition pour se procurer du chocolat, n'est-ce pas ? Harlock sembla hésiter. Sûr qu'il était en train de se faire les mêmes réflexions. Le barman lui fit un clin d'œil goguenard. Allez, gamin. Décide-toi ou dans deux secondes je brandis cette tablette et tous les types du Metal sauront que tu n'es pas en train d'acheter des armes ou du matériel respectable de pirate. — Et pour le prix de ton silence ? lâcha finalement Harlock. |
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